Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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Comment utiliser au mieux la Revue de presse Théâtre

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Bonne navigation sur la Revue de presse théâtre !

 

Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule  Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso

 

Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

Peut être utile au lycée

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Le Théâtre national de Nice magnifie la tragédie

Le Théâtre national de Nice magnifie la tragédie | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur le site d'ARTCENA le 24 mai 2024

 

FESTIVAL
Du 19 juin au 5 juillet 2024, le Festival de tragédies fera résonner les grands textes et mythes tragiques sur le site patrimonial des Arènes de Cimiez. 

Dans la continuité de son projet artistique qui entend valoriser les grandes œuvres du répertoire, la directrice du Théâtre national de Nice, Muriel Mayette-Holtz, innove en créant le premier festival dédié en France à la tragédie. Alors que le monde est en proie aux démons de la destruction, ce « rendez-vous du drame et des larmes », comme elle le qualifie, lui apparaissait plus que jamais nécessaire. « Nous avons besoin de regarder en face, et en même temps avec la distance qu’autorise le théâtre, la violence et les émotions que nous ressentons, entre effroi et chagrin », souligne-t-elle. Afin de magnifier la tragédie, il fallait un lieu à sa mesure. En mettant à la disposition du Centre dramatique national l’amphithéâtre romain des Arènes de Cimiez – érigé au Ier siècle – le maire de Nice, Christian Estrosi, lui a offert le plus beau des écrins, également propice à l’organisation d’un événement qui se veut résolument populaire.

 

 

La programmation de cette première édition a, de même, été pensée pour s’adresser à un large public, spontanément plus enclin à fréquenter un site en plein air. Outre des tragédies emblématiques de Racine (Phèdre, mise en scène par Muriel Mayette-Holtz, et Andromaque, monté par Stéphane Braunschweig), les Niçois pourront découvrir le spectacle conçu par Simon Abkarian autour des figures d’Hélène de Troie et du roi Mélénas (Hélène après la chute), s’approprier L’Odyssée en compagnie de Jacques Bonnaffé (Notre Homère), mais aussi être confrontés à la problématique malheureusement très prégnante de l’antisémitisme avec Calek, d’après Les Mémoires de Calek Perechodnik, interprété par Charles Berling. D’autres propositions – lectures et mises en espace, conférence, soirée poétique – en lien avec la thématique permettront, en outre, au Festival de tragédies de  rayonner dans d’autres lieux de la ville : le Musée Villa Masséna et le Musée d’archéologie, le Château de Crémat, la Salle des Franciscains ainsi que la Place Saint-François, où Muriel Mayette-Holtz présentera Le Procès de Néron, nouvel épisode d’un cycle que le Théâtre national de Nice consacre depuis quatre ans, avec le concours des acteurs de la troupe du CDN et d’avocats, aux procès de personnages historiques.

 

 

Dès l’an prochain, la manifestation accordera une place de choix aux auteurs grecs (Eschyle, Euripide, Sophocle), tout en s’ouvrant aux écritures contemporaines et à d’autres champs disciplinaires tels que la danse, la musique et, pourquoi pas, l’opéra. Prévu pour être opérationnel en 2026, l’équipement définitif des Arènes devrait, par ailleurs, favoriser l’accueil de davantage de productions, sur une durée plus conséquente. La directrice du Théâtre national de Nice ambitionne en effet de faire du Festival de tragédies un événement de notoriété nationale, voire européenne, à l’instar de ceux d’Épidaure ou de Syracuse. « Cela prendra certes du temps, mais je saurai être patiente et tenace », conclut-elle.

 

 

Festival de tragédies
Du 19 juin au 5 juillet 2024
Arènes de Cimiez

 

 

Programmation  
• Phèdre, de Jean Racine, mise en scène de Muriel Mayette-Holtz, du 19 au 22 juin
• Hélène après la chute, texte et mise en scène de Simon Abkarian, les 25 et 26 juin
 Calek, d’après Les Mémoires de Calek Perechodnik, mise en scène et interprétation de Charles Berling, le 28 juin
• Notre Homère, d’après L’Odyssée, d’Homère (traduction d’Emmanuel Lascoux), mise en scène de Jacques Bonnaffé, le 29 juin
• Andromaque, de Jean Racine, mise en scène de Stéphane Braunschweig, les 2 et 3 juillet  

 

 

Autour du festival 
• Loin d’eux, de Laurent Mauvignier, mise en espace de Noëmie Ksicova, les 22 et 30 juin au Musée Villa Masséna
• Construire un feu, de Jack London, lecture de Muriel Mayette-Holtz, le 30 juin au Château de Crémat
• Conférence et soirée poésie, le 4 juillet, Salle des Franciscains
• Le Procès de Néron, mise en scène de de Muriel Mayette-Holtz, le 5 juillet, Place Saint-François
• À Dieu l’Alexandrin ! [Ou les Aventures de Mistiche], sur une proposition de Muriel Mayette-Holtz pour 3 comédien·ne·s de l’École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille (ERACM), au Musée d’archéologie de Nice

 

 

Plus d’informations sur la page dédiée du festival.

 

 

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«La Loi du marcheur» : Serge Daney, l’esprit critique 

«La Loi du marcheur» : Serge Daney, l’esprit critique  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Anne Diatkine, publié par Libération le 27 mai 2024


Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit et Eric Didry reprennent un spectacle créé quatorze ans plus tôt sur la vie du critique de ciné, ex de «Libé», et réussissent à échapper au biopic. Une pièce toute aussi palpitante qu’à sa création mais qu’on reçoit différemment à l’heure de #MeToo.

 

 

Restituer un flux de paroles à la virgule près, une pensée en mouvement, en incarnant un entretien qui prend la forme d’un monologue, en l’occurrence celui qu’adressa Serge Daney, juste avant de mourir du sida, à Régis Debray en 1992. Reprendre ce spectacle partout en France, sur les places de villages de la Drôme ou dans des grandes villes, c’est-à-dire souffler sans fin sur la flamme de cette volée crépitante de mots. Le magnétisme de la Loi du marcheur conçu en 2009 par Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit et Eric Didry et porté au plateau par Nicolas Bouchaud repose entièrement sur l’acteur et la complicité du trio. Autrement dit, on peut n’avoir aucune idée de qui est Serge Daney, être sans sympathie particulière à son égard, ne pas s’intéresser plus à la cinéphilie qu’à l’amour des timbres, et être captivé. Ce spectacle ne vieillit pas mais se couvre de sens inattendus avec les années et qu’on ne reçoit plus aujourd’hui comme ne serait-ce qu’il y a huit ans, lorsqu’on l’avait découvert une première fois déjà lors d’une reprise au Rond-Point, à Paris.

 

Serge Daney ? Un «passeur», se qualifie-t-il, un «ciné-fils» selon l’intitulé de cet entretien, qui exista d’abord sous forme de documentaire en trois volets de chacun une heure diffusée dans Océaniques sur France 3 – autre époque que celle où la télé pouvait consacrer trois heures à un intellectuel, critique de cinéma ! Activité «qui n’est pas une vocation, à peine un métier», dit Serge Daney qui réussit néanmoins à en vivre en tant que rédacteur en chef aux Cahiers du cinéma, puis comme journaliste à Libération – qu’il quitta avec fracas après la publication imposée par décision de justice d’un droit de réponse de Claude Berri à la suite de sa critique peu amène d’Uranus.

Abri collectif

Rien à voir avec le spectacle ? Pas sûr. Car c’est bien un double monde disparu que fait apparaître Nicolas Bouchaud à travers Serge Daney. Celui du «petit parigot» né à la toute fin de la guerre, issu d’un milieu modeste, dont le bonheur fut de hanter les salles de cinéma avec sa mère et sa tante, et qui grandit grâce au septième art. En 1992, il y a donc trente-deux ans, les films se découvraient encore dans les salles. Daney anticipe leur raréfaction et, bien avant Instagram, prophétise une déferlante d’images qui ne serviront plus qu’à (se) vendre dans la plus grande solitude. A l’inverse, selon lui, les salles tiennent de l’abri collectif. Elles permettent de rester reclus, mais en bande, en marge de la société, tandis que le cinéma, art «populaire et réaliste» et paradoxalement «clandestin», en dévoile les différentes facettes invisibles sans lui. Le discours de Daney témoigne aussi d’une époque où la minuscule république des critiques pouvait encore s’imaginer que non seulement ils conversaient avec les cinéastes à travers leurs textes, mais qu’ils étaient les seuls médiateurs, courroie de transmission vitale pour que l’œuvre aimée puisse éclore. Attraper un film comme on saisit une balle et effectuer un revers comme au tennis – sur lequel Serge Daney écrivit également – par la grâce de quelques lignes vite griffonnées. Non sans une certaine arrogance qui agace l’oreille tel le crissement d’une craie sur un tableau noir, des jugements à l’emporte-pièce parmi des fulgurances justes et belles.

 

Parole à la fois actuelle et archaïque

Le fil rouge de la pièce est un film vu et revu à son adolescence, lors de sa sortie en France en 1959, Rio Bravo, et le talent de Nicolas Bouchaud est de montrer comment une œuvre imbibe un corps, une démarche, une façon de parler et de se mouvoir grâce à un seul extrait du film de Hawks projeté trois fois différemment. Le comédien incorpore la parole de Daney qui, elle-même, devient film. Sa réussite implacable est d’échapper à l’illustration, au mimétisme, au biopic. Cette fusion rappelle un autre texte, qui a également été mis au plateau et qui lui aussi relate l’influence souterraine d’un film sur la vie d’un spectateur – Ils ne sont pour rien dans mes larmes d’Olivia Rosenthal. Tiens, une femme ! Dans la maison-cinéma dans laquelle nous convie Daney, elles sont singulièrement absentes – cinéastes et actrices–– sans que jamais cette disparition ne soit examinée ou problématisée. Le grand spectateur de cinéma qu’espère être Daney ne réfléchit jamais à cette évaporation qu’il ne remarque même pas. A plusieurs reprises, il prête au cinéma une aptitude à faire preuve – notamment à travers le choc que fut Nuit et Brouillard d’Alain Resnais. Mais lui, qui se targue d’être un bon observateur pour ne pas dire le meilleur, que décèle-t-il des films dont il est le contemporain et le «passeur» ?

 

 

On compulse les recueils de ses articles, ces entretiens qui prennent pour la plupart la forme d’un monologue. On remarque que la négation des femmes était moins criante il y a huit ans, avant #MeToo, et on sait gré à Nicolas Bouchaud et ses complices de nous permettre de le noter en faisant vivre et revivre cette parole à la fois actuelle et archaïque, bourrée de dieux défunts – Godard en particulier. La team Bouchaud, Timsit, Didry ne s’y trompe pas, et a coupé une notation désagréable sur Ava Gardner, et adjoint mi-mai au questionnaire que l’acteur adresse aux spectateurs une question comme pour faire passer certains aveuglements de son personnage : un grand film signé d’une femme cinéaste qui vous a marqué ? La question sonne aujourd’hui obsolète voire absurde, bien heureusement. Son rajout souligne une béance plus qu’il ne la comble.

 

Anne Diatkine / Libération

La Loi du marcheur de Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit et Eric Didry jusqu’au 29 mai au théâtre de la Bastille.
Légende photo : Nicolas Bouchaud dans sa pièce «la Loi du marcheur». (Brigitte Enguérand)
 
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Le Tigre Bleu de l’Euphrate, texte Laurent Gaudé (éditions Actes Sud-Papiers), mise en scène Denis Marleau, à La Colline. 

Le Tigre Bleu de l’Euphrate, texte Laurent Gaudé (éditions Actes Sud-Papiers), mise en scène Denis Marleau, à La Colline.  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Louis Juzot dans Hottello - 27 mai 2024

 

Le Tigre Bleu de l’Euphrate, texte Laurent Gaudé (éditions Actes Sud-Papiers), mise en scène Denis Marleau, vidéo Stéphanie Jasmin, scénographie Stéphanie Jasmin et Denis Marleau, lumière Marc Parent, musique Philippe Brault, costumes Linda Brunelle avec Emmanuel Schwartz.

« A une centaine de pas devant moi, avançant avec précaution dans les hauts roseaux du fleuve,…

C’était le tigre bleu de l’Euphrate,

Félin majestueux au pelage de lapis-lazuli.. ; 

Et lentement, précautionneusement, il reprit sa marche.

Je le suivis au pas. »

 

 

Laurent Gaudé a écrit un poème en prose à la fois lyrique et épique autour d’un long soliloque nourri de réminiscences classiques et littéraires dans une langue claire et accessible. Un soliloque pré-mortem proféré par un homme hors du commun, Alexandre  Le Grand, qui mourut à trente-deux ans après avoir conquis le monde de son temps, la Perse, la Phénicie et l’Egypte, jusqu’aux confins de l’Indus, et fondé une ville dont le nom a  traversé les siècles. 

Lyrique, il repose sur l’adresse  d’un homme à Hades, dieu des morts autant qu’à lui-même.  Alexandre sait à quel point son appétit vital fut insatiable, comme sa soif de conquête des femmes  ou des peuples. Sa vie fut une fuite perpétuelle en avant à la poursuite d’un but que le héros ne peut lui-même définir autrement que par cette métaphore du tigre bleu, chimère qu’il a lui même enfantée. Au moment de mourir, il est encore celui qui questionne le sens de sa quête effrénée. 

 

 

Epique, parce que toutes les batailles et les sièges sont relatés dans le détail et l’horreur par le  guerrier, comme dans une chanson de geste, une suite continue de conquêtes que seule l’armée arrêtera. Alexandre choisit de mourir quand il comprend que ses soldats sont trop fatigués pour continuer à se battre et n’ont plus que le seul désir de retourner en Grèce.

 

Pour rendre crédible ce récit et surtout incarner ce personnage « extraordinaire », homme ou demi-dieu, monstre ou génie, il faut un comédien qui se livre tout entier, et Denis Marleau l’a trouvé en la personne d’Emmanuel Schwartz.

Il apparaît derrière un lit haut, d’abord caché et immobile, dos à la salle, couvert d’un  drap puis s’animant, se tordant sur ce lit, roulant au sol avant de se relever face au public, comme face au dieu du monde des morts. Le corps est svelte et mobile avant de tenir la position hiératique de celui qui  veut voir la mort en face. 

Il dit le texte avec application, articulant soigneusement chaque mot, les faisant claquer: Alexandre veut montrer qu’il n’a rien à cacher, qu’il se livre sans  réserve. Il peut « s’arracher la gorge » ou prendre un débit plus calme, mais la prose qui brille de formules et de figures de rhétorique est toujours balancée avec la force du combattant et une belle lucidité agressive.  

 

 

L’espace environnant est d’abord  fermé, pareil à un tombeau strié de gris puis s’anime de figures mouvantes quand Alexandre relate son périple, pour finir sur des tonalités de soleil couchant. Comme toujours chez Denis Marleau, le travail sur la lumière et les effets d’optiques sont remarquables.

Du cousu main, raffiné, consensuel, mais digne d’un comédien de haut vol pour un empereur de légende.

 

 

Louis Juzot / HOTTELLO

 

Jusqu’au 16 juin, du mercredi au samedi 20h, le mardi à 19h et le dimanche 15h30, excepté samedi 15 juIn à 18h et dimanche 16 à 14h30,  La Colline, Théâtre National, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris Tel : O1 44 62 52 52,  billetterie.colline.fr

 

Crédit photo: Yanick MacDonald

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Le grand « Oui » de Célie Pauthe à l'Odéon

Le grand « Oui » de Célie Pauthe à l'Odéon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 24 mai 2024

 

La metteure en scène signe une adaptation intense et dépouillée du récit tragique de Thomas Bernhard. Une histoire de solitudes, d'amour et de mort, portée avec superbe par Claude Duparfait sur scène et Mina Kavani à l'écran. Créé à Besançon en octobre dernier, ce spectacle rare débarque à Paris aux Ateliers Berthier.

L'homme est assis seul en scène. La lumière est encore allumée dans la salle, quand il se lève et prend le public à témoin… Il va lui confier son histoire. Magnifique et tragique. Comment lui, le scientifique solitaire, terré dans sa maison forestière, était au bord de « la culbute ». Et comment, une femme, la Persane, lui a sauvé la vie, avant de mettre fin à la sienne. Oui à l'amour, oui à la mort…

« Oui » (1980) est un récit bref et ardent de Thomas Bernhard, ultranoir mais brillant d'un fol espoir. Dense, minutieusement construit, il a le côté haletant d'un thriller existentiel. Metteure en scène ultrasensible, Célie Pauthe s'en est emparée pour créer son dernier spectacle à Besançon en tant que directrice du CDN. Avec la complicité de Claude Duparfait, comédien bernhardien en diable.

 

Le spectacle est aujourd'hui à l'affiche à Paris, à l'Odéon-Berthier, pour trois semaines.

 

La Persane est l'épouse iranienne d'un architecte suisse. Le scientifique la rencontre, un jour de désespoir où il est venu vider son sac auprès de son ami agent immobilier. Le couple vient d'acheter le plus mauvais terrain de la localité autrichienne : en pente, humide, toujours à l'ombre. Et le plan de la maison en chantier évoque un tombeau. C'est pour échapper à ce projet mortifère, à ce mari qui l'a rayée de sa vie, que l'Iranienne accepte de partir tous les jours en promenade dans la forêt avec l'homme.

D'abord les deux misanthropes croient se rencontrer. Ils aiment tous deux la philosophie (Schopenhauer), la musique (Schumann), mais leur idylle va tourner court. L'homme ne peut réchauffer le coeur glacé de la femme, leurs conversations s'épuisent… la Persane renvoie l'homme, elle se terre dans son mausolée. Elle a dit oui au suicide et va l'exécuter…

 
Beauté du film

Dans la mise en scène tout en tension et en subtilité de Célie Pauthe, la femme n'est pas présente physiquement en scène, mais elle l'est à l'image, incarnée par l'actrice Mina Kavani. Sur un grand écran, au fond de la scène, se déroulent les promenades brumeuses dans la forêt de conifères. La beauté du film en tons gris-vert, le va-et-vient délicat entre l'écran et le plateau abattent la frontière entre théâtre et cinéma. Les spectateurs sont intimement plongés dans le maelstrom des deux âmes brisées.

Claude Duparfait porte au plus haut l'humanité désolée de son personnage, tour à tour exalté et résigné, superbe et misérable. Magnétique, Mina Kavani crève littéralement l'écran et bouleverse dans la scène où, recluse dans sa chambre, dans la pénombre, elle fait ses adieux à l'amour et à la vie. « Oui » est un spectacle rare, qui nous renvoie à notre solitude, à notre besoin de l'autre, un beau geste tragique qui tout à la fois nous console et nous anéantit.

OUI   de Thomas Bernhard.

Mise en scène de Célie Pauthe.

Paris, Odéon- Ateliers Berthier 

theatre-odeon.eu/fr

du 24 mai au 15 juin 2024.

Durée : 1 h 30

 

Philippe Chevilley

 
Légende photo : Mila Kavani à l'écran, Claude Duparfait en scène… (© Jean Louis Fernandez)
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Catherine Hiegel témoigne de violences conjugales commises par Richard Berry 

Catherine Hiegel témoigne de violences conjugales commises par Richard Berry  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lara Clerc dans Libération - 24 mai 2024

 

 

Dans une publication Instagram de «Après les violences», une action photo pour les victimes de violences conjugales, Catherine Hiegel témoigne des coups portés par Richard Berry. Il a déjà été mis en cause devant la justice par leur fille qui l’accuse d’inceste, une plainte classée sans suite car prescrite.

 

 
 

Des faits déjà connus à grands traits mais pas dans le détail et qui n’avaient pas provoqué grand bruit. Dans une publication du compte Instagram Après les violences datée du jeudi 23 mai, la comédienne Catherine Hiegel dénonce les violences conjugales commises par Richard Berry. Les yeux droits dans l’objectif, l’actrice tient un bloc de papier sur lequel elle décrit les coups de son ex-compagnon : «Il cogne ma tête contre le lavabo, recousue à l’arcade ; plusieurs gifles bien sûr… La dernière enceinte de sept mois m’explose le tympan. Coline se retourne dans mon ventre. Condamnée à une césarienne. Je n’ai pas porté plainte, je l’ai quitté !!».

 
Page Instagram de Marc Melki :
 
marc_melkiii
 Modifié13 h
IL COGNE MA TÊTE
CONTRE LE LAVABO,
RECOUSUE À L’ARCADE ;
PLUSIEURS GIFLES
BIEN SÛR … LA DERNIÈRE
ENCEINTE DE SEPT
MOIS, M’EXPLOSE LE
TYMPAN. COLINE SE
RETOURNE DANS MON
VENTRE. CONDAMNÉE
À UNE CÉSARIENNE.
J’AI PAS PORTÉ PLAINTE,
JE L’AI QUITTÉ !!

Catherine Hiegel

UN IMMENSE MERCI à CATHERINE HIEGEL
Elle témoigne et pose pour @apres_les_violences
Photographiée à Paris le 22 mai 2024. ©Marc Melki.

Le foetus, victime non reconnue des violences conjugales :
dans 40 % des cas les violences conjugales commencent pendant la grossesse et peuvent être plus graves pendant la grossesse pour 2 femmes sur 3 ; 4 fois plus de femmes signalent de très mauvais traitements pendant la grossesse : le fœtus se retrouve alors en danger.
Alison Blondy @lily_antovska

UN IMMENSE MERCI à @colineberryrojtman de m’avoir mis en contact avec ta maman.

#AprèsLesViolences est une action photographique collective et solidaire avec les femmes et les enfants victimes de #violencesintrafamiliales, comme avec les familles victimes de féminicides.

J’expose #APRÈSLESVIOLENCES du 24 au 30 juin au 61 3 rue de l’Oise Paris 19è.
Merci le @61.paris et @yael.caux

VERNISSAGE le 27 juin à 19h
Prises de parole : @laurarapp_1 , Bruno Solo, Alizé Bernard, @douiblucien , Alison Blondy, @me_godefroy , @sofia_sept7 Jérôme Giusti, @stephaniegateaumagy

Soirée spéciale le 25 juin à 19h, rencontre avec des victimes, ex-victimes et présentation de la magnifique enquête autour de l’inceste de @romanebrisard pour @lesjoursfr « J’ai enlevé ma fille »
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C’est la première fois qu’elle s’exprime aussi directement sur les violences commises par le comédien d’aujourd’hui 73 ans, qui a lui même reconnu avoir battu sa femme dans les colonnes du Monde en 2021, sans y revenir par la suite. C’est dans cet article que la fille des deux comédiens, Coline Berry-Rojtman, a rendu publiques ses accusations. Elle dénonce les relations incestueuses imposées par son père dans son enfance (entre 1984 et 1985), plus précisément des baisers sur la bouche avec la langue de son père et des «jeux sexuels» auxquels elle devait se soumettre, également en compagnie de sa belle-mère de l’époque, la chanteuse Jeane Manson.

 

 

Depuis, Jeane Manson a poursuivi Coline Berry-Rojtman en justice pour diffamation. Si cette plainte a abouti à deux premières condamnations en première instance et en appel, la Cour de cassation a annulé en décembre 2023 la condamnation de Coline Berry-Rojtman et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Lyon. La plainte de la fille de Catherine Hiegel et Richard Berry dénonçant des faits de viols et agressions sexuelles sur mineur de 15 ans par ascendant et de corruption de mineur a, elle, été classée sans suite pour cause de prescription.

 
 

C’est d’ailleurs Coline Berry-Rojtman qui a mis en contact Catherine Hiegel avec le photographe Marc Melki, derrière le compte Après les violences. Depuis le 3 juillet 2022, il publie sur le réseau social des clichés de victimes de violences conjugales. Son intention : «[revenir] sur le moment où tout a basculé, sur la fois de trop qui les a poussées à quitter leur conjoint devenu violent pour elles comme pour leurs enfants. La fois où elles ont pu dire stop. Le déclic. Elles sont toutes sorties des violences conjugales parfois après des années d’emprise et de calvaire». Quand certaines ne peuvent pas prendre la parole, il demande à des célébrités de poser pour elles, comme NaguiAnna Mouglalis ou Bruno Solo.

Il exposera ses œuvres du 24 au 30 juin au 61-3 rue de l’Oise, dans le XIXe arrondissement de Paris.

 

Lara Clerc / LIBERATION 

 

Légende photo : C’est la première fois qu’elle s’exprime aussi directement sur les violences commises par le comédien de 73 ans aujourd’hui, qui a lui même reconnu avoir battu sa femme dans "Le Monde" en 2021, sans être réinterrogé sur la question plus tard. (Bertrand Guay/AFP)

 

 

 
 
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Un apéro avec Philippe Torreton : « J’ai été assimilé grande gueule, réduit à l’acteur engagé »

Un apéro avec Philippe Torreton : « J’ai été assimilé grande gueule, réduit à l’acteur engagé » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 17 mai 2024

 

 

Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. Dans son dernier roman, « Un cœur outragé », Philippe Torreton raconte la vengeance d’un comédien mis au ban par le milieu du cinéma. Toute ressemblance avec sa vie n’est pas fortuite.

 


Lire l'article sur le site de "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2024/05/17/un-apero-avec-philippe-torreton-j-ai-ete-assimile-grande-gueule-reduit-a-l-acteur-engage_6233886_4497916.html

 

Quand on demande à Philippe Torreton pourquoi il a choisi Fulvio pour notre apéro, ils sont deux à répondre, le comédien et le patron de ce petit restaurant italien niché dans le quartier du Marais, à Paris. « On s’est connu en 1998 sur le tournage de Ça commence aujourd’hui, de Bertrand Tavernier. Dans une scène d’anniversaire, on chantait La Traviata », se souvient le restaurateur, Fulvio Trogu. « C’est ici que Bertrand m’a proposé ce scénario », complète Philippe Torreton, un verre de pinot grigio à la main. Depuis trente-cinq ans, Fulvio, un Sarde à la barbe fournie digne de celle d’Hagrid dans Harry Potter, tient la barre de cette bonne adresse de pâtes qui a vu passer quelques célébrités. Convivial, il pose au milieu de notre table une appétissante assiette de jambon cru et parmesan, et se retire derrière son comptoir. Il est à peine 19 heures, les clients ne sont pas encore arrivés, il peut écouter tranquillement son ami Philippe.

 

 

A 58 ans, Philippe Torreton se fait rare au cinéma mais devient coutumier des rayons de librairie. C’est pour son dernier roman, Un cœur outragé (Calmann-Lévy, 190 pages, 19,90 euros), qu’on a eu envie de le rencontrer. Dans cette fable enlevée et truculente, un comédien désillusionné décide de se grimer pour s’offrir une seconde chance et se venger, grâce à un formidable stratagème, de la cruauté du milieu du cinéma qui lui a fermé les portes. Toute ressemblance avec l’auteur n’est pas purement fortuite. « Le pourquoi de ce livre est multiple. J’avais raconté un jour à mon maquilleur, qui m’a notamment transformé en Cyrano pour le théâtre et en Michel Fourniret pour un téléfilm, mon vieux fantasme de jouer un jour sous une fausse identité. Puis il y a eu ma mise à l’écart du cinéma après ma tribune sur Depardieu, en 2012 [une charge contre l’exil fiscal de l’acteur], et ma lecture, sur le tard, de Romain Gary. Tout s’est imbriqué et ça a fait tilt dans ma tête », développe-t-il.

 

« En écrivant, j’ai tout autant questionné le monde du cinéma que je me suis questionné sur moi-même. Ce livre est aussi introspectif », reconnaît-il. Mais à la différence de son personnage de roman, Albert Stephan, il jure ne ressentir « ni aigreur, ni amertume, ni sentiment de solitude ». Malgré la « frustration » de ne pas avoir eu, depuis douze ans, de rôle important au cinéma (« le temps long passé à tourner me manque »), de seulement « picorer » des rôles secondaires, il n’a pas de « comptes à régler » et est « heureux » dans sa vie. Parce que le théâtre est toujours là. Sur la table est posé Le Funambule, de Jean Genet, dont il s’imprègne avant de le jouer la saison prochaine à la MC2 de Grenoble puis à Paris. Et parce qu’il y a l’écriture, arrivée par le hasard d’un journal de bord (Comme si c’était moi, Seuil, 2004) et qui, en 2014, grâce à Mémé (éditions de l’Iconoclaste), lui a offert les joies d’un best-seller. Son hommage à sa grand-mère maternelle s’est écoulé à plus de 200 000 exemplaires.

Trop de « suspicion », de « jalousies »

Comme son personnage d’Un cœur outragé, Philippe Torreton s’est toujours senti « dépareillé » dans ce petit monde du cinéma où l’« allégeance » est la norme. « Quand j’ai déboulé de ma banlieue de Rouen et de mon club de théâtre amateur dans cet univers-là, je n’ai eu que des affolements », résume-t-il. Son admission au Conservatoire national d’art dramatique est un tel « chamboulement »  qu’il en fait de la tachycardie. « Je n’en revenais pas d’avoir réussi ce concours. Nous n’étions que trois provinciaux sur une promotion de trente. » Puis, quand, en fin de troisième année, grâce au soutien de ses professeurs (Catherine Hiegel, Daniel Mesguich, Madeleine Marion), il intègre la Comédie-Française, alors dirigée par Antoine Vitez, c’est encore une étape « joyeuse » mais « perturbante ». « C’est le combat qu’on mène tous avec l’estime de soi, c’est une lutte éternelle », analyse-t-il.

 
Scapin, Lorenzaccio, Hamlet, Tartuffe… le pensionnaire puis sociétaire du Français enchaîne les grands rôles mais finit par claquer la porte de la vénérable institution, en 1999. Trop de « suspicion », de « jalousies ». Philippe Torreton est, à l’époque, l’un des rares comédiens de la Comédie-Française à faire du cinéma. Et le premier d’entre eux à décrocher, en 1997, à l’âge de 32 ans, le César du meilleur acteur pour Capitaine Conan, de Bertrand Tavernier. « Cette récompense a été le comble du comble ! Je n’avais pas envie de me justifier, j’ai préféré partir pour préserver ma joie de faire des choses. »
 

Sans regret, il poursuit sa route, alternant tournages (Monsieur N, d’Antoine de Caunes, L’Equipier, de Philippe Llioret, Ulzhan, de Volker Schlöndorff) et scène (Henri V, Richard III). Alors qu’il est en train de répéter le rôle de Cyrano de Bergerac sous la direction de Dominique Pitoiset, l’actualité le rattrape. La politique a toujours intéressé ce fils d’une institutrice et d’un pompiste, engagé à gauche. Alors, quand il découvre, dans Le Journal du dimanche, la lettre de Gérard Depardieu en réponse au premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, qui a jugé « assez minable » que la star parte en Belgique pour échapper à l’impôt, le « citoyen » Torreton ne peut s’empêcher de réagir.

 

 

Lui qui a soutenu Ségolène Royal en 2007 et François Hollande en 2012 prend la plume et publie, en décembre 2012, dans Libération, sa tribune devenue fameuse titrée « Alors Gérard, t ’as les boules ? ». Sans détour, en dégustant son second verre de vin blanc, il accepte de revenir sur cet épisode qui lui a valu une flopée de réactions négatives dans le landerneau cinématographique. « Je n’avais pas l’impression de m’adresser à un monstre sacré du cinéma mais à un citoyen. Il y avait de l’indécence de sa part à se poser comme la victime d’une cabale. Cette tribune, j’aurais aimé que ce soit un ministre des finances qui l’écrive. Cette léthargie autour de l’exil fiscal… merde quoi ! Je viens d’un milieu où on comptait ses sous, où payer ses impôts avait un sens. Ce texte, je l’avais réfléchi, les conséquences, non. »

« Marre d’être tout seul »

Deneuve, Luchini, Gad Elmaleh, plusieurs célébrités critiquent vertement sa prise de position. « Personne n’a répondu sur le fond. C’était : “Qui es-tu pour t’attaquer à Depardieu ?” Benoît Jacquot m’a même reproché mon manque d’“inconditionnalité” vis-à-vis du monstre sacré ! Le seul a m’avoir soutenu publiquement a été Magyd Cherfi, du groupe Zebda. Le plus douloureux, ça a été ces producteurs et metteurs en scène avec qui j’avais travaillé et qui ne m’ont plus fait tourner. Est-ce qu’on a reproché par le passé leur engagement à Simone Signoret, Yves Montand, Daniel Balavoine ? Ces artistes citoyens font partie de mon patrimoine. »

L’éphémère conseiller de Paris, époque Delanoë, ne souhaite plus commenter la politique, mais il continue à s’y intéresser. « J’ai été assimilé grande gueule, réduit à l’acteur engagé, j’en ai eu marre d’être tout seul. » De toute façon, face aux enjeux du monde, en particulier celui du réchauffement climatique, il ne croit plus qu’à une alliance transpartisane, « à l’image de l’union sacrée qui prévalut lors de la guerre de 1914-1918. Malheureusement, l’être humain ne se réveille que face à la catastrophe ».

 

Quant au #metoo du cinéma, l’auteur de Lettre à un jeune comédien (Tallandier, 2022) s’en félicite et ne craint pas le grand déballage. « Le phénomène a été tellement tu. Après des décennies de non-dits, de gens bafoués, on ne va quand même pas reprocher aux victimes de parler. Cette parole va se libérer encore et encore, jusqu’à ce que les choses changent. »

 

 

Sandrine Blanchard

 

Légende photo : Philippe Torreton, au restaurant Fulvio, Paris 3ᵉ, le 7 mai 2024. SAMUEL KIRSZENBAUM POUR « LE MONDE »

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Stéphane Freiss, ô capitaine, lui capitaine 

Stéphane Freiss, ô capitaine, lui capitaine  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nathalie Rouiller dans Libération - 23 mai 2024

 

 

Rayonnant sur scène dans «le Cercle des poètes disparus», le comédien de 63 ans injecte de la sérotonine dans sa vie.

 
 

En préambule, il y a la Nuit des Molières, grand-messe que l’on suit généralement d’un œil morne. Le 6 mai, tempo lento bazardé, le molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé a été décerné d’entrée. «Séché», Stéphane Freiss, que le public ovationne depuis janvier dans le Cercle des poètes disparus, a dû s’improviser une contenance, tandis que Vincent Dedienne se levait pour récupérer le trophée.

 

 

Le lendemain, on retrouve le comédien au théâtre Antoine, à Paris. Couché à 4h30, horaire presque classique pour qui carbure à l’adrénaline, il n’a ni les cernes mordorés ni le teint œuf brouillé des marathoniens de la nuit. On lui imaginait la veste velours de son personnage, le professeur Keating, libertaire patché aux coudes. Il habille son dynamisme de basiques sans esbroufe, jean, chemise de lin blanche, Nike à virgule orange. Les positions sont vite définies, à Roméo, le bichon, la moquette, à l’artiste, le sofa, qu’il ne quittera que pour défenestrer ses volutes de fumée. On dévide quelques souvenirs en accéléré. 1989. Césarisé meilleur espoir pour Chouans ! l’histrion déboule sur scène pendu à une corde. Une audace de timide qui vaut au Tarzan en costume de dîner en tête-à-tête avec sa compression. Formé au Cours Florent, puis au Conservatoire et au «Français», il alterne plateaux et tréteaux. Varda, Miller, Ozon, Spielberg, Eastwood ou Yasmina Reza lui font confiance. Mais, imperceptiblement, l’envie s’effiloche. A la cinquantaine, il surnage dans les baïnes de ses questionnements, cale ses respirations sur des engagements plus ou moins motivants. Comprend qu’à se noyer dans d’autres identités, il ne fait que fuir la sienne.

 

Quoique le sexagénaire ait raté le film de Peter Weir à sa sortie, l’assertion de Robin Williams, «je suis le capitaine de mon âme, le maître de mon destin», reflète ses propres évolutions. Aux collines molles de la routine, qui doucement descendent vers l’absence, il a préféré l’escarpé des remises en question. Séparé de sa femme, Ursula, mère de ses trois enfants, il s’affiche désormais avec Delphine Horvilleur, rabbine et intellectuelle d’envergure.

 

Du coin de l’œil, on le regarde lisser le drap qui recouvre son canapé. Systématiquement, le tissu glisse de l’accoudoir, systématiquement, il le recale. Son histoire à lui, fuyante, s’est construite en creux, autour d’une impossibilité à verbaliser. Le grand-père paternel est mort à Auschwitz. Le père de sa mère, tailleur en Pologne, juif et communiste, a survécu en traversant les frontières. Cachés pendant la guerre, ses parents ont intégré le mode de survie des rescapés. Se taire, ne jamais se plaindre. «A la maison, il n’y avait pas de religion, ni de politique», constate le non-pratiquant qui ne mange pas casher mais s’évite le porc. «D’un côté, je trouve parfaitement exemplaire de ne pas avoir transmis ce chagrin. Et en même temps, peut-être que ça nous a manqué. Tout le monde a joué à cache-cache.» Chirurgien-dentiste, hédoniste à Jaguar rutilante, son géniteur va sur ses 92 ans. Celui-ci ne s’est jamais soucié d’obédience, la Shoah ayant, à ses yeux, définitivement disqualifié toute présence divine. Face à nous, gobant ses gélules de maca, un ginseng péruvien certifié sans pesticides, son fils s souvient du divorce de ses parents et de la quête ésotérique de sa mère entre yoga, méditation zen et préceptes tibétains. Avant qu’elle n’entre «de manière totale, comme une presque noyée, dans sa religion». A l’adolescence, sujet aux crises d’angoisse et de tétanie, Freiss vit des moments chaotiques qu’il narre avec humour. De la colonie dans un centre ultra orthodoxe en Israël à l’école Steiner, où on lui attribue brouette et lopin de terre avant l’interro écrite. «On se retrouve face à un mec, Krivine, mais en plus fou, qui nous regarde et dit : “La propriété, c’est le vol”, Proudhon, vous avez six heures. Et pour ceux que ça n’inspire pas, je suis en bas, à jouer au foot.» Son «Keating», il le rencontre en terminale, un illuminé vêtu du même complet toute l’année, revers maintenus par des agrafes, Grâce à lui, il effectue une incroyable remontada en physique-chimie. «Sa foi me parvenait à son insu. Du fait de sa théâtralité inconsciente, sa discipline devenait un art.»

 

 

Buvard autoproclamé, il se compare à Zelig, l’homme-caméléon de Woody Allen, et adore s’entourer de réflexifs de haut vol. La journaliste Caroline Fourest, l’humoriste Sophia Aram, l’écrivain Kamel Daoud, le directeur du Théâtre de la Colline, Wajdi Mouawad, évidemment Delphine Horvilleur. «Ils ont souvent en commun d’avoir été déracinés, et de s’en sortir sans jouer le misérabilisme.» Son sentiment d’imposture bâillonné, il avoue sa fierté d’avoir récemment participé à l’émission Talmudiques de Marc-Alain Ouaknin sur France Culture et à la Conversation scientifique d’Etienne Klein. Quant à son pouvoir d’attraction, il le malmène avec ruse : «On peut être le pire des cons, et être séduisant. Ça fait partie de l’ADN de l’acteur. J’aime ce trouble qu’on peut créer […]. Je ne m’en sers pas de manière putassière, c’est une constituante de ce que je suis, ça se fait malgré moi.»

 

 

Incapable de faire des choix, animal à la fois social et contemplatif, il s’est fait violence en réalisant. Tu choisiras la vie, son beau long métrage, met en scène deux personnages qui se débattent sous le joug des traditions, une juive orthodoxe, un cultivateur italien attaché à ses terres. Il avait envisagé le film comme un pont affectif, une bouteille à la mer, mot à orthographier avec un accent grave et un «e». Son inspiratrice est hélas morte pendant le montage. Sinon, malgré son indécision constitutive, celui qui truffe sa pensée de «et si» dévie peu de sa ligne sur l’actualité. Choqué par les bloqueurs de Sciences-Po, keffieh autour du cou, «prisonniers de mensonges assénés comme des vérités», il tacle «l’islamo-gauchisme qu’[il] exècre». On comprend vite qu’aux européennes, La France insoumise n’aura pas son vote.

 

Logiquement, il devrait aller vers Glucksmann. Sinon, au chapitre de ses détestations, le wokisme et l’identitarisme tiennent la corde.

Nul en matières financières, il avait investi dans un fonds immobilier, sans doute à cause de l’adjectif. Il a tout perdu, est locataire d’un cinquième sans ascenseur près d’Odéon, et ne possède qu’une Fiat 500 vieillissante. Son retour dans les faveurs devrait lui permettre d’acheter une résidence secondaire sur une île éolienne. Non par instinct propriétaire, mais pour qu’existe un lieu infusé de souvenirs, où ses trois enfants, une chanteuse-comédienne, un bourlingueur, une lycéenne, pourraient se réunir.

Sa bibliothèque déborde d’ouvrages non lus. Trop respectueux du travail d’écriture, il ne grappille jamais en diagonale. En interview, il est intarissable sur l’esprit Charlie et l’importance du cadre de la parole, sujets largement débattus dans son cercle d’amis pas du tout disparus. En œillade décalée, signalons pour finir que l’homme se démaquille avec une lotion 3 en 1 de… Vichy, et s’asperge d’une fragrance qui résume son état d’esprit : Heaven Can Wait.

 

Nathalie Rouiller / LIBERATION

 

22 novembre 1960 Naissance à Paris.

 

2004 5x2 (François Ozon).

 

2008 Bienvenue chez les Ch’tis (Dany Boon).

 

2023 Réalise Tu choisiras la vie.

 

2024 Le Cercle des poètes disparus au théâtre.

 
Légende photo : Stéphane Freiss à Paris, le 22 mai 2024. (Cyril Zannettacci/VU' pour Libération)
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Avec la pièce « Terrasses », Laurent Gaudé orchestre un oratorio polyphonique sur les attentats du 13-Novembre

Avec la pièce « Terrasses », Laurent Gaudé orchestre un oratorio polyphonique sur les attentats du 13-Novembre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 21 mai 2024

 

 

Au Théâtre de la Colline, à Paris, le Québécois Denis Marleau met en scène le texte de l’écrivain d’une manière qui glace le sang.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/21/avec-la-piece-terrasses-laurent-gaude-orchestre-un-oratorio-polyphonique-sur-les-attentats-du-13-novembre_6234623_3246.html

Dix-sept comédiens sur scène au Théâtre de la Colline, à Paris, forment la foule de celles et ceux qui, le 13 novembre 2015, ont vécu de plein fouet les attentats perpétrés à Paris et à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Victimes, familles, témoins, secouristes, infirmières, policiers : le texte de l’écrivain Laurent Gaudé est un enchaînement méthodique de monologues qui suivent un fil chronologique (avant, pendant et après les attaques). Moins de dix ans après la tragédie, l’auteur la passe au tamis de son écriture. Sans lyrisme excessif – malgré le surplus de phrases qui semblent parfois s’écouter elles-mêmes –, sa langue cherche le souffle poétique et épique qui saura convertir le réel en littérature.

Même s’il résulte d’une longue enquête préalable, Terrasses n’est donc pas un texte documentaire. Pas davantage la transcription retravaillée de propos recueillis. Les sources du dramaturge sont les traces journalistiques, historiques, politiques, qu’il a compulsées. Il ne livre pas un témoignage, mais un oratorio polyphonique et une élégie fictionnelle, puisque les paroles prononcées relèvent de sa seule imagination.

 

Le théâtre sait faire cela : ressusciter les morts, provoquer leur retour parmi les vivants et édifier pour eux un catafalque de mots. La cérémonie mémorielle qui se déploie dans la grande salle de La Colline est mise en scène par le Québécois Denis Marleau. L’artiste aménage un plancher de métal sombre qui se désarticule, s’incline par pans entiers, se redresse à l’oblique au-dessus de vides béants. Les acteurs circulent sur un sol anxiogène, troué de toutes parts.

Derrière eux, tenant lieu de paroi, un immense écran vidéo sur lequel sont diffusées des images en noir et blanc. Prises de vues allusives de rues sombres, de lumières qui tremblotent ou de rails de projecteurs suspendus. Rien de vraiment concret dans ces images monumentales qui dominent les silhouettes des interprètes. Elles ne sont pas là pour illustrer, mais pour suggérer un double hors-champ : les lieux assiégés et les états intérieurs des personnages.

Grandiloquence

Ce spectacle esthétisant, hiératique et mortuaire ne bouleverse pas. Il glace le sang. Parce qu’il creuse et recreuse sans relâche les raisons de s’inquiéter, de s’effrayer, de frémir et de sangloter, en déplaçant, de personnage en personnage, l’inéluctable constat d’un bain de sang qui, quoi que pensent, fassent, disent, les protagonistes, conclura la soirée du 13-Novembre. Quel est le but de cette litanie de l’impuissance et du désespoir mêlés ? Il se peut que ce cortège de paroles émeuve, répare et apaise certains spectateurs. Si tel est le cas, cela veut dire que le texte aura fait son office.

 

Mais, pour d’autres, moins prêts sans doute à accepter que la brutalité des faits, même drapée de littérature, devienne si vite et si tôt un spectacle de théâtre, la grandiloquence à laquelle s’abandonne insensiblement Denis Marleau est une gêne tenace (pour ne pas dire plus). Musiques qui montent en puissance, traits blancs qui fusent sur la vidéo lorsque sont évoqués les tirs au Bataclan, irruption d’un acteur costumé en CRS avec cagoule sur la tête et rangers aux pieds : était-il, à ce point, besoin d’en rajouter ?

 

 

Terrasses, de Laurent Gaudé. Mise en scène : Denis Marleau. Théâtre de la Colline, Paris 20e. Jusqu’au 9 juin.

 

Légende photo : Charlotte Krenz, Sarah Cavalli Pernod, Alice Rahimi, Marilou Aussilloux, Nathanaël Rutter, Axel Ferreira, Anastasia Andrushkevich et Lucile Roche dans « Terrasses », de Laurent Gaudé, mise en scène de Denis Marleau, au Théâtre de la Colline, à Paris, le 13 mai 2024. Photo © SIMON GOSSELIN

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde

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Banc public avec fantômes : Place de la République de Clément Hervieu-Léger 

Banc public avec fantômes : Place de la République de Clément Hervieu-Léger  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 19 mai 2024

 

 

Sous le titre « Place de la République », Clément Hervieu-Léger organise la rencontre brève d’une jeune femme et d’un photographe en quête perpétuelle. Juliette Léger et Daniel San Pedro sont subtilement accordés.  

Rien, presque rien. Une rencontre aussi improbable que banale –un paradoxe, oui. Une toute jeune femme et un homme plus mûr. Il se balade armé d’un sac de voyage et d’un appareil photo de type « Polaroid », grande folie de la fin des années 60 et un peu au-delà. Elle flotte, semble attendre tandis qu’il va d’un pas décidé et cherche.

 

Lui, on l’imagine tout de suite un peu retenu par des fils reliés au passé. Séduisant, visage bien structuré, légèrement hâlé. Quelque chose de sportif, en lui. Un beau regard, un sourire ouvert. Elle se laisse photographier, le tutoie d’emblée. Bizarre. Elle n’a pas l’air d’une fille à tutoyer les inconnus. Mais qu’importe. On les regarde, on les écoute. Parfois, il parle comme un livre. Ils ont des terrains d’entente, et pas n’importe lesquels. Amitiés flamboyantes, disparitions, ruptures. Ce sont des contes d’entente et d’évanescence. Ne disons ni amour, ni mort. Rimbaud est au cœur. Il raconte, des voyages, une rencontre bouleversante. Elle racontera, une amitié à racines profondes. Ils ont en commun des évaporations, des blessures.

 

Lui, Daniel San Pedro, est un comédien, un metteur en scène, que l’on connaît très bien et que l’on a souvent applaudi. Il est d’une vérité bouleversante. Au Paradis, on est au plus près des interprètes et l’on s’en veut, parfois, d’être dans une posture d’indiscrétion. Mais Clément Hervieu-Léger qui a composé ce texte, le met en scène, parvient à établir une distance pudique entre les acteurs, les « personnages » et les spectateurs. Dans la partition de la toute jeune fille, Juliette Léger, fascine avec ses troublantes ressemblances avec la jeune Juliette Binoche. On l’a déjà vue, ici ou là. Fine, fluide, voix très belle –d’ailleurs elle chante-, grâce –d’ailleurs elle danse- justesse de tout l’être.

 

 

Autant le dire, on adhère profondément à la proposition dramatique de Clément Hervieu-Léger. On est admiratif et touché par ces deux personnalités délicates. On ne comprend pas les pleins feux, un moment, ni que Daft Punk et Veridis quo prennent tant de place. Pinaillages de spectatrice.

 

Armelle Héliot 

 

 

Lucernaire, salle Paradis, à 19h00 du mercredi au samedi, à 15h30 le dimanche. Tél : 01 45 44 57 34. Durée : 1h00.

www.lucernaire.fr

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"Terrasses", le requiem poignant de Laurent Gaudé

"Terrasses", le requiem poignant de Laurent Gaudé | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-Céline Nivière dans L'Oeil d'Olivier - 18 mai 2024

 

 

Dans son dernier récit, mis en scène par le Québécois Denis Marleau, l’écrivain donne voix à tous ceux, morts et vivants, qui ont vu leur destin se briser cette terrible nuit du 13 novembre 2015.

 

Cette nuit d’automne, il y a neuf ans, nous apprenait « qu’on pouvait mourir de marcher dans la rue, de s’attarder autour d’un verre avec des amis ». Les attentats de Paris appartiennent désormais à notre histoire collective. Avec TerrassesLaurent Gaudé signe un chant polyphonique saisissant destiné à porter « la parole de ceux qui ont vécu la joie puis la terreur », mais aussi à « restituer les gestes, les regards échangés, la sidération partagée » et de faire entendre ainsi un hymne à la vie, celle qui se conjugue avec liberté.

« Y a-t-il un bruit que le malheur aurait fait en se levant et que nous aurions dû reconnaître ? »

Qui a oublié où il se trouvait et ce qu’il faisait le 13 novembre 2015 ? En frappant dans plusieurs lieux à la fois, les terroristes ont étendu la notion d’être là au mauvais endroit au mauvais moment — “MEMM”, tel que le contractait, dans son spectacle éponyme, l’acrobate-voltigeuse Alice Barraud. Pour réparer les vivants, parce que c’est son rôle, le théâtre s’est vite emparé de ce traumatisme :  Vous n’aurez pas ma haine par Raphaël PersonnazLes Vivants  de Jean-Philippe Daguerre13, Love is all you need  par Alex Metzinger, et plus récemment Les Consolantes de   Pauline Susini.

 

 

Laurent Gaudé est connu pour son écriture poétique et son style lyrique. Son texte est donc tout sauf une pièce documentaire. Le dramaturge a choisi d’explorer les voix intérieures, les pensées de ceux qui de près comme de loin ont traversé cette terrible épreuve. Tous les personnages sont des êtres de fiction dont l’ADN appartient à plusieurs. Ce processus narratif est très fort, d’autant plus que la plupart des personnages savent le sort que le hasard leur a réservé. Leur petite voix intérieure, qui exprime une envie de vivre, vient résonner en chacun de nous intensément.

« Chacun d’entre nous se sentira abîmé, même s’il n’a pas été blessé »

Autre particularité, l’auteur a mis l’accent sur trois personnages. Il y a ces deux jeunes filles fraîchement amoureuses qui découvraient la beauté de leurs sentiments (Marilou Aussilloux et Alice Rahimi), et cette jumelle (Sarah Cavalli Pernod) qui retrouvait sa sœur pour fêter leurs trente ans et que la mort ne séparera pas. Dans un jeu d’atemporalité, on les retrouve présent sur tous les lieux des attentats, les diverses terrasses et le Bataclan.

Elles tiennent le fil d’Ariane qui permet de sortir de ce labyrinthe de haine et de violence. Autour d’elles, gravitent tous les autres, les victimes, les rescapés, les forces de l’ordre, le corps médical, les anonymes, les familles endeuillées, etc., incarnés par Daniel Delabesse, Charlotte Krenz, Marie-Pier Labrecque, Jocelyn Lagarrigue, Victor de Oliveira, Emmanuel Schwartz, Monique Spaziani, Madani Tall, Yuriy Zavalnyouk ainsi qu’Anastasia Andrushkevich, Orlène Dabadie, Axel Ferreira, Lucile Roche et Nathanaël Rutter de la Jeune troupe de la Colline.

« Si l’enfer existe, nous y sommes. »

Puisque l’on parle de la tragédie des attentats, le ton dramatique choisi est bien celui de ce style théâtral caractérisé par la gravité de son langage et par l’action qui mène les personnages à une issue fatale. S’inscrivant dans cette tonalité, alternant les monologues aux parties chorales, la mise en scène de Denis Marleau est remarquable. La scénographie est signifiante. Il n’y a rien sur la scène, et pourtant, tout sera là. Le plateau mouvant s’ouvre, laissant apparaître l’abîme dans lequel l’insouciance vient de basculer. « Et pourtant, il faut continuer. Vivre. Comme on aime. Au nom de ceux qui sont tombés. Nous serons tristes, longtemps, mais pas terrifiés. Pas terrassés. »

Marie-Céline Nivière - L'œil d'Olivier

 

Terrasses de Laurent Gaudé (éditions Acte Sud)
La Colline – Théâtre National
15 rue Malte-Brun
75020 Paris.
Du 15 mai au 9 juin 2024.
Durée 2h05.

Mise en scène de Denis Marleau.
Avec Marilou Aussilloux, Sarah Cavalli Pernod, Daniel Delabesse, Charlotte Krenz, Marie-Pier Labrecque, Jocelyn Lagarrigue, Victor de Oliveira, Alice Rahimi, Emmanuel Schwartz, Monique Spaziani, Madani Tall, Yuriy Zavalnyouk et Anastasia Andrushkevich, Orlène Dabadie, Axel Ferreira, Lucile Roche, Nathanaël Rutter de la Jeune troupe de La Colline.
Scénographie, vidéo et collaboration artistique de Stéphanie Jasmin.
Musique originale de Jérôme Minière enregistrée avec Guido Del Fabbro au violon, Philippe Brault à la contrebasse et Guillaume Bourque à la clarinette et clarinette basse.
Lumières de Marie-Christine Soma assistée de Raphael de Rosa
Costumes de Marie La Rocca assistée d’Isabelle Flosi et Claire Hochedé.
Maquillages et coiffures de Cécile Kretschmar assistée de Mityl Brimeur.
Montage et staging vidéo de Pierre Laniel.
Design sonore de François Thibault.
Conseil chorégraphique de Stéfany Ganachaud.
Assistanat à la scénographie Marine Plasse, à la mise en scène Carol-Anne Bourgon Sicard et Sérine Mahfoud.
Fabrication des accessoires et costumes par les ateliers de La Colline.
Construction du décor par l’atelier de La Colline en collaboration avec Hervé Cherblanc.

 
 
Crédit photo © Simon Gosselin
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Vagues de glace au coeur de la Tempête

Vagues de glace au coeur de la Tempête | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Callysta Croizer dans Les Echos - 18 mai 2024

 

 

Au Théâtre de la Tempête, Elise Vigneron plonge dans « Les Vagues », l'oeuvre énigmatique de Virginia Woolf. La metteure en scène, également marionnettiste et plasticienne, confie le « poème-jeu » à des figures de glace et signe une adaptation à l'esthétique saisissante.

 

 

Publiée en 1931, « Les Vagues » est une oeuvre emblématique de Virginia Woolf. Inspirée par ce mystérieux « poème jeu », dans lequel l'autrice britannique a déployé la quintessence d'une écriture expérimentale, Elise Vigneron s'est jetée à l'eau. De la cité phocéenne à la Tempête du bois de Vincennes, la metteure en scène, marionnettiste et plasticienne, façonne un spectacle pour choeur de glace en une expérience sensible du temps qui s'écoule, de l'enfance à la maturité.

 

Dans un faisceau de lumière blanche, une boule de glace tournoie suspendue au bout d'un fil, avant de s'écraser en mille morceaux sur scène. Le geste, fatal, préfigure le destin des six marionnettes à taille humaine, chacune sortie par un interprète… d'un congélateur. Car ces poupées translucides, finement sculptées et articulées, ne sont pas de cire mais de glace. Doubles des personnages littéraires, elles se nomment Bernard, Susan, Rhoda, Neville, Jinny et Louis (seul Percival brille par son absence).

Mis en mouvement et en voix par les comédiennes et comédiens, qui tirent leurs longues ficelles dans l'ombre, ces pantins de gel oscillent entre gestes anthropomorphes et ballet aérien. Au son du roulement tantôt apaisant, tantôt menaçant des vagues, leurs flux de leurs consciences elliptiques traversent les questionnements existentiels d'amour et de haine, de vie et de mort.

 

Vague à l'âme

Adapter un texte de Virginia Woolf au théâtre est un exercice périlleux. La dramaturge Marion Stoufflet Un défi de taille relevé honorablement. Certes, l'écriture elliptique et diffractée entre six personnages peut laisser perplexes les moins familiers de l'autrice britannique. Mais ici, l'arrangement du flou spatio-temporel et narratif est au service d'une mise en scène qui parvient à capter de façon singulière l'obscurité du récit. Ainsi les longs silences donnent à sentir le vide laissé par la perte d'un être cher et l'arrachement brutal à une enfance insouciante.

Le travail d'Elise Vigneron frappe par sa sensibilité esthétique unique. Face à une quête de sens toujours fuyant, la porosité totale des marionnettes à l'atmosphère environnante saisit, par une métaphore matérielle originale, la fragilité d'une vie et d'une existence éphémère. Tandis que la glace fond sous la lumière des projecteurs, la précaution et la douceur des interprètes interagissant avec ces corps froids suscitent une empathie intrigante. Voltigeant avec grâce entre les doigts de Zoé Lizot et Chloée Sanchez, ou dans un fascinant pas de deux avec la danseuse Azusa Takeuchi, les figures finissent, inévitablement, par voler en éclats. Reste alors leur structure métallique à découvert et le clapotement des gouttes dans une piscine d'eau douce, symbole de finitude et de renaissance. Et d'un pari réussi.

LES VAGUES

D'après Virginia Woolf

Mise en scène Elise Vigneron

Paris, Théâtre de la Tempête - Cartoucherie

www.la-tempete.fr

Jusqu'au 26 mai, puis au Mfest - Amiens (10 et 11 octobre), Les Salins - Martigues (8 novembre), à la Scène 55 - Mougins (19 novembre), au Théâtre de Nice (22 et 23 novembre).

 

 

Callysta Croizer / LES ECHOS

 
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Après les coupes budgétaires, les compagnies de théâtres en crise: «On ne pourra plus prendre de risque artistique» 

Après les coupes budgétaires, les compagnies de théâtres en crise: «On ne pourra plus prendre de risque artistique»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lara Clerc pour Libération - 19 mai 2024

 

 

Les restrictions budgétaires historiques annoncées fin février par Bercy et Matignon risquent de contraindre les institutions culturelles, déjà fragilisées par l’inflation, à réduire le nombre de leurs spectacles et à mettre en danger les compagnies qui s’y produisent.

 

 

«En deux saisons, nous sommes passés de 101 dates à 24… Au mieux. A cause de cela, nous allons devoir nous séparer de notre administratrice avec qui nous travaillons depuis dix ans.» Bess Davies ne peut s’empêcher de parler vite quand elle évoque le manque de moyens qui frappe sa compagnie de théâtre bordelaise, le collectif OS’O. «Je suis désolée, je vous bombarde d’informations…» Il faut dire que son équipe subit de plein fouet les effets de la politique d’austérité culturelle récemment mise en place par le gouvernement.

 

 

Les restrictions budgétaires historiques annoncées fin février par Bercy et Matignon risquent de contraindre les institutions culturelles, déjà fragilisées par l’inflation, à réduire le nombre de leurs spectacles et de leurs représentations, et, par ricochet, à mettre en danger les compagnies qui s’y produisent. Une donnée en particulier a fait réagir les professionnels du spectacle vivant : en avril, l’Association des professionnels de l’administration du spectacle (Lapas) prédisait une baisse de 54% de représentations  pour la saison prochaine, en comparaison avec la saison actuelle. «L’augmentation des coûts fixes qui n’ont cessé de croître ces deux dernières années, comme ceux de l’énergie par exempleréduit énormément la marge artistique des théâtres, c’est-à-dire la somme allouée aux pièces, aux artistes», explique la coprésidente de l’association, Véronique Felenbok. Les budgets, eux, stagnent, les aides financières ne sont pas indexées sur l’inflation et certaines subventions régionales ont même été baissées. «La seule façon de ne pas perdre d’argent est de réduire le nombre de levers de rideau, notamment dans les scènes subventionnées. Cela peut paraître contradictoire, mais le théâtre public survit principalement grâce aux subventions – sans elles, une place coûterait 90 euros. Alors moins jouer, c’est perdre moins d’argent.»

«Je n’ai pas la clé de l’équation»

Même constat du côté de l’Association des centres dramatiques nationaux (ACDN), ces salles qui, dans cet écosystème du spectacle vivant, ont un rôle crucial de soutien à la création. Emmanuelle Queyroy, sa présidente, produit des données moins catastrophiques mais elles aussi alarmantes : elle table sur une baisse de représentations de 7,5% entre 2023 et 2024 (à noter qu’il s’agit de l’année civile et non de la saison, de septembre à juin, comme pour Lapas), et une baisse de 9% de spectacles programmés pour la même période. «C’est le résultat d’un cumul entre la baisse de moyens d’une part, et le plan “Mieux produire mieux diffuser de l’autre», selon l’ACDN. Le but de ce plan lancé par le ministère de la Culture en juin 2023 est simple : limiter une offre culturelle saturée, dans une logique «d’écologie de la création». Mais Emmanuelle Queyroy s’alarme, «il n’est pas accompagné du financement adéquat, et pire à présent, on nous retire des millions d’euros. C’est un couperet pour un secteur en crise, et une catastrophe pour les compagnies».

 

En décembre, le directeur du théâtre de l’Odéon à Paris, Stéphane Braunschweig, annonçait qu’il ne se présenterait pas à sa propre succession, faute de budget suffisant. Un signal d’alerte pour le milieu. «Je n’ai pas la clé de l’équation. Il faut inventer un nouveau modèle économique. Mais on ne peut pas le disjoindre d’un projet artistique», expliquait-il alors à Libération. Deux mois plus tard – et bien qu’il se réjouisse d’avoir finalement réussi à programmer la saison prochaine son spectacle la Mouette, qu’il pensait condamné faute de moyen – il se désole lui aussi de devoir baisser le nombre de levers de rideaux, et de l’impact que cela aura sur les compagnies «Nous avons préparé une saison 2024-25 avec un petit moins de représentations que ce dont nous avons l’habitude. Elle en comptera 250, soit une grosse quarantaine de moins que les années précédentes, pour un total de douze spectacles, ce qui représente un ou deux de moins que d’habitude.» D’un ton résigné, il liste calmement les impacts que laissent les coupes budgétaires, notamment sur les sommes allouées aux coproductions avec des compagnies. «Avant le budget allait de 30 000 euros pour les petites  productions à 100 000 euros pour les grandes, aujourd’hui on est entre 20 000 et 50 000 euros.» Pour l’heure, son théâtre ne survit que grâce à ses réserves qui réussissent à amortir son déficit (qui s’élève à 1,3 million d’euros pour l’année 2022). «Mais elles fondront.»

 

 

Sans coussin amortisseur, les compagnies accusent le coup. «Les marges artistiques des théâtres sont réduites et ils ne peuvent donc pas soutenir autant d’artistes qu’auparavant», soupire Hugo Mallon, qui a fondé la compagnie l’Eventuel Hérisson bleu. Active depuis 2009, elle met en scène grosses comme petites productions, mais peine actuellement à obtenir des confirmations pour ses représentations. «On pensait qu’avec le temps, on allait réussir à mieux s’en sortir, finalement on a la même impression de galère qu’il y a dix ans, c’est assez alarmant», explique-t-il. Pour sa prochaine production, une adaptation d’Emma Bovary, seule une série de dates est sûre et certaine : celle des premières représentations, au théâtre le Phénix de Valenciennes à l’automne 2025. Au-delà de celles-ci, deux dates sont probables mais «pas calées» – «dangereux», commente-t-il – et six autres lieux doivent encore confirmer leur accueil dans les mois qui viennent. «En temps normal, je devrais déjà connaître les dates de tournée pour l’année 2025-26. Mais là, je constate que de nombreux lieux se disent intéressés sans s’engager.»

«Nous raterons des artistes auxquels nous ne nous attendons pas»

A l’incertitude s’ajoutent des conditions de travail de plus en plus difficiles, témoigne Aurélia Lüscher, cofondatrice du collectif Marthe et de la compagnie le Désordre des choses : «Les théâtres sont obligés de nous demander de couper dans certaines dépenses.  Pour une prochaine production, je vais être obligée de réduire mes frais de transporteur et pour ce spectacle que j’ai écrit sans aide financière, je vais devoir acheminer moi-même le décor, conduire le camion, monter le décor en arrivant puis jouer dans la foulée…» Elle aussi a déjà commencé à recevoir des annulations de dates de la part de certaines salles dans lesquelles elle devait jouer, et cette année encore, comme depuis deux ans, le collectif a renoncé à augmenter ses cachets. La question des revenus inquiète sérieusement les professionnels, et tout particulièrement ceux qui bénéficient du statut d’intermittent : la réduction du nombre des représentations rime potentiellement avec l’impossibilité de boucler ses 507 heures de travail, condition sine qua non pour se qualifier à l’allocation.

 

«Entre les restrictions budgétaires et le plan Mieux produire, mieux diffuser, les jeunes metteurs en scène ne pourront plus faire de spectacles que tous les deux, trois ans, confirme Stéphane Braunschweig. Or, c’est par l’expérience qu’on apprend son métier.» Même lui, avec ses trente ans d’expérience dans le théâtre public, redoute les conditions dans lesquelles il se replongera dans la mise en scène indépendante. «Serais-je en mesure de réaliser une mise en scène par an comme je le fais depuis trente ans ? Je n’en suis pas sûr.»

 

Dans tous les témoignages revient une inquiétude : les œuvres proposées au public parviendront-elles à être aussi diverses et inventives si elles sont moins nombreuses et plus fragiles ? «On ne pourra plus se permettre de prendre des risques, de se planter… Avant, le conventionnement le permettait, on pouvait rebondir après une pièce qui n’avait pas marché», explique Bess Davies. Noëmie Ksicova, metteuse en scène depuis plus de dix ans qui a donné l’Enfant brûlé au théâtre de l’Odéon cette année, renchérit : «Nous ne jetons pas la pierre aux théâtres. A présent, leurs contraintes sont telles que même en étant de bonne volonté, ils ont du mal à sortir de cette logique économique. Ils ne peuvent plus se permettre certains choix et seront dans l’obligation de prendre des spectacles qui rempliront la salle à coup sûr, car la billetterie deviendra une ressource financière de plus en plus centrale. Nous raterons des artistes auxquels nous ne nous attendons pas. Et c’est ça précisément, qui fait la force du service public et la fameuse exception culturelle.»

 
 
 
Légende photo :  L’Association des centres dramatiques nationaux table sur une baisse de représentations de 7,5% entre 2023 et 2024. (photo © Leonard Mc Lane/Getty Images)

 

 
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Les sublimes « Paravents » d'Arthur Nauzyciel

Les sublimes « Paravents » d'Arthur Nauzyciel | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 29 mai 2024

 

Le directeur du Théâtre national de Bretagne nous embarque quatre heures durant dans la folie funèbre de Jean Genet. Un grand geste poétique d'une beauté absolue, joué-dansé avec grâce par seize comédiens sur un escalier immaculé. Le spectacle est à l'affiche de l'Odéon, là où la pièce avait été représentée pour la première fois en 1966.

 

Il n'y a pas de paravent sur le plateau de l'Odéon mais un gigantesque escalier blanc, scène de vie, de guerre et de mort que les personnages de la pièce de Jean Genet vont descendre et gravir jusqu'à la chute finale. Arthur Nauzyciel a choisi de représenter ces « Paravents » verticalement, dans un spectacle à l'émotion ascensionnelle. Quatre heures de beauté absolue.

Située dans un pays arabe colonisé, la pièce, quand elle fut publiée en 1961, évoquait pour tous la guerre d'Algérie. Elle ne put être représentée, non sans polémiques, que cinq ans plus tard, au Théâtre de l'Odéon justement. Pourtant elle n'est ni une pièce historique, ni un manifeste politique, mais une fresque poétique qui qui dit la violence et le malheur du monde, fait jaillir le magma bouillant de l'humanité au-delà du bien et du mal.

 

Le directeur du TNB l'a bien compris. Le contexte historique de la pièce est rappelé sur le mode intime, par une projection, juste après l'entracte. Un cousin du metteur en scène, filmé en gros plan, lit les lettres qu'il a envoyées à sa famille lorsqu'il était jeune médecin effectuant son service militaire en Algérie à la fin des années 1950 : populations irréconciliables, tortures commises par l'armée française, spirale de la violence, absurdité d'un combat perdu d'avance… Voilà pour les faits, glaçants… Tout le reste est théâtre.

 
Bien sûr, à travers l'errance de Saïd - le voleur, le trublion en quête d'absolu, parti « pour le pays du monstre » -, de sa femme laide et de sa mère héroïques dans un pays à feu et à sang, Genet met en relief les maux du système colonial, mais son propos dérive et s'élargit jusqu'à se faire rencontrer les ennemis au seuil de la mort. Les « Paravents » deviennent alors un stupéfiant requiem aux accents claudéliens.

Gravitation perpétuelle

Dès la première apparition du jeune Aymen Bouchou (Saïd) en haut des marches (scénographie de Riccardo Hernández), la partie est gagnée. Le public sent que le spectacle va l'emmener très haut, très loin. Seize comédiens incarnent plusieurs dizaines de rôles : villageois, putes, soldats, notables dansant sur un volcan… Car les mots de Genet sont une invitation au mouvement. Le chorégraphe surdoué Damien Jalet, fidèle collaborateur d'Arthur Nauzyciel, fait exulter les corps en un ballet aussi périlleux qu'hypnotique.

En haut, en bas, debout, couché, en avant et à reculons, à toute vitesse ou au ralenti… Trois générations d'acteurs s'adonnent avec bonheur à cette gravitation perpétuelle : les jeunes incandescents de l'école du TNB, les comédiens fétiches du metteur en scène (le trio magique Marie-Sophie Ferdane, Mounir Margoum et Xavier Gallais) et deux fringants interprètes historiques de la production de Patrice Chéreau (1983), Farida Rahouadj et Hammou Graïa. Le metteur en scène fait danser les mots de Genet sans brider la personnalité des acteurs. Chacun, chacune, joue sa partition avec conviction, dans un mélange subtil d'élan lyrique et de sensualité douloureuse.

La pièce dans son intégralité aurait duré sept heures. Les coupes effectuées sont judicieuses : on ne perd pas le (fragile) fil narratif au gré des saynètes qui nous plongent dans le désert, en prison, dans un bordel, dans un cimetière, en enfer… ou au paradis. Cette adaptation fluide permet au spectateur de lâcher prise quand la langue de Genet s'embrase jusqu'à devenir hermétique et abstraite. Le théâtre devient poème et la représentation, transfiguration.

 

 

Alors que le grand escalier s'est mû en monstre mouvant, à force de jeux de lumières et de projections d'actualités d'époque floutées, la pièce nous invite au final à un grand show funèbre, dans lequel les (encore) vivants côtoient les (pas tout à fait) morts. Saïd, l'irrésolu, peaufine sa dernière bravade. Puis vient le saut dans le néant, ultime effet inouï de ces « Paravents » sans paravent qui feront date.

LES PARAVENTS

de Jean Genet.

Mise en scène d'Arthur Nauzyciel.

Paris, Odéon (6e), du 31 mai au 19 juin.

theatre-odeon.eu/fr

4 h 00

 

Teaser vidéo du spectacle

 

Philippe Chevilley / LES ECHOS

 

Légende photo : Les corps exultent en un ballet aussi périlleux qu'hypnotique. ( Photo © Philippe Chancel)

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Au Printemps des comédiens, Cyril Teste invoque les monstres de « Platonov »

Au Printemps des comédiens, Cyril Teste invoque les monstres de « Platonov » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 29 mai 2024

 

 

Le metteur en scène, qui présente, dès le 30 mai, « Sur l’autre rive », une création inspirée de Tchekhov, au festival de théâtre de Montpellier, a imaginé un spectacle comme une fête furieuse et interminable. « Le Monde » en avait suivi les répétitions.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/29/au-printemps-des-comediens-cyril-teste-invoque-les-monstres-de-platonov_6236249_3246.html

Extérieur jour : le lac d’Annecy miroite de bleus et de verts sous un rare soleil de printemps, en cette journée de fin avril. Intérieur nuit : à quelques pas de là, sur une autre rive de la vie, le metteur en scène Cyril Teste répète sa nouvelle création inspirée de Platonov, de Tchekhov, qui fera l’ouverture du Printemps des comédiens, à Montpellier, le 30 mai.

Le vaste plateau de la scène nationale d’Annecy, plongé dans la nuit, s’offre au regard dans toute son étendue : pas de murs, des grandes tables, des loupiotes, une estrade pour la musique interprétée en live, un écran au-dessus du plateau, et une ambiance de fête que l’on sent prête à déraper à tout moment.

 

Après une magnifique Mouette à fleur de peau, en 2021, Cyril Teste a eu envie de revenir à Tchekhov. Et de s’attaquer à Platonov, pièce-monstre, chantier théâtral d’un jeune auteur de 18 ans, qui contient, de manière brute et sauvage, toute l’œuvre à venir. « C’est une pièce de jeunesse inachevée, immorale, foisonnante, romanesque, chorale, dans laquelle les destins de plusieurs générations se croisent, résume-t-il. Je l’ai relue pendant la longue période du Covid-19, et j’écoutais beaucoup de Wagner et de Vivaldi en même temps. Il m’est apparu qu’il y avait une fureur dans l’œuvre, une monstruosité que j’avais envie de faire sortir. On est dans quelque chose d’excessif, de maladroit, que je ne veux pas lisser : c’est mal coiffé, Platonov, et cela doit le rester. D’où l’idée d’imaginer le spectacle comme une interminable fête où il y aurait trop d’alcool, de fumée, de désir : créer un rituel pour faire sortir les monstres qui peuplent la pièce. »

Trente « convives »

Pour créer cette « transe régénératrice, obscure, fiévreuse, violente », le metteur en scène a imaginé une nouvelle fois un dispositif formel audacieux, qui inscrit radicalement le tableau de mœurs d’une petite société de la province russe de la fin du XIXe siècle dans notre aujourd’hui. Un pas plus loin, encore, dans un théâtre-cinéma qui est l’un des plus inventifs d’aujourd’hui, dans la « performance filmique » dont Cyril Teste est l’un des plus brillants représentants.

 

 

En ce premier jour de répétitions, auxquelles nous assistons, les comédiens sont encore seuls sur le plateau, en compagnie des deux cameramans. Cyril Teste, pantalon battle-dress, sweat-shirt et baskets d’éternel adolescent de 49 ans, les dirige de manière relativement classique, s’attachant à serrer au plus près les situations et les enjeux de la pièce. « Le sujet, c’est l’argent, et le thème, c’est l’humiliation », fait-il claquer à un moment donné.

 

Mais, le lendemain, les acteurs sont rejoints par trente « convives », selon la terminologie adoptée. Trente amateurs qui ont suivi des ateliers avec les membres du Collectif MxM de Cyril Teste, et sont venus avec leurs propres tenues, coiffures et maquillages, comme s’ils étaient réellement invités à une fête. « Sentez-vous à l’aise, leur lance le metteur en scène, en guise de bienvenue. Vous pouvez bouger, danser, boire et manger comme vous le voulez. » « On a mené un travail préparatoire avec eux, mais, sur le plateau, on ne les guide pas, explique Cyril Teste. L’énergie due à leur présence différera chaque soir. Contrairement aux spectacles précédents, la partition des acteurs et celle des cadreurs ne pourront pas être écrites précisément. Ils auront des rendez-vous ensemble, mais devront composer avec les invités de la fête. »

Exercice virtuose

Pour les comédiens, l’exercice est virtuose, pour les deux caméramans qui filment en direct aussi. « Jusque-là, c’était trop simple, ce qu’on faisait », plaisantent en chœur Mehdi Toutain-Lopez, créateur vidéo et grand manitou de toute l’horlogerie délicate du spectacle, et Christophe Gaultier, cadreur et collaborateur artistique de la création images. « Ce dispositif multiplie les aléas sur tous les plans. Depuis que les convives sont arrivés, l’énergie est complètement différente. La plupart des comédiens n’ont jamais expérimenté de jouer dans de telles conditions, mais c’est très porteur en termes d’énergie : c’est comme un courant qui nous emporte », assure Christophe Gaultier.

 

 

Lire la rencontre (2020) | Article réservé à nos abonnés Cyril Teste : « Les histoires de famille, il faut les laisser là où elles sont »
 

« Il fallait que je crée un peu de chaos, avoue Cyril Teste. Platonov est une œuvre élisabéthaine, shakespearienne, qui m’évoque aussi Sans filtre [2022], le film de Ruben Östlund. Elle acte la fin d’un monde, d’une société patriarcale, où les pères sont déficients, absents, castrateurs, où ils n’ont pas laissé de place à leurs descendants, soit par leur absence, soit par leur hyperprésence, ou un mélange des deux. C’est d’une actualité sidérante, et ça me fait penser au peintre Francis Bacon, à qui on reprochait que sa peinture soit laide, et qui répondait que ce n’était rien à côté de la laideur de la société. Il y a une défiguration, dans la pièce, les êtres deviennent des loups le jour, et des loups-garous la nuit, des zombies. Ils se mangent entre eux, se contaminent, et cette notion de contamination me semble importante aujourd’hui, où des êtres sensés basculent parce qu’ils respirent le même air que ceux qui sont contaminés. Ce grand corps collectif de la fête incarne tout cela. »

 

 

Cette lecture de la pièce a aussi guidé les choix sur la relation entre le théâtre et l’image, qui est au cœur du travail de Cyril Teste, grand admirateur de Cassavetes, de Bergman et de Tarkovski. La question s’est posée d’autant plus que Sur l’autre rive, le spectacle, est doublé par un film qui est comme son envers intimiste, et sera diffusé sur Arte à l’automne.

Deux cadreurs

« Par rapport à La Mouette, où on avait tenté la projection d’images sur des surfaces multiples, on est revenus à quelque chose de plus classique, détaille Mehdi Toutain-Lopez. Une image ne va pas du tout raconter la même chose sur un plateau selon la manière dont elle est diffusée. C’est valable aussi pour le format de l’image : on a fait le choix non pas d’un écran 16/9e, mais d’un CinémaScope, placé en hauteur, au centre de la scène. En rognant un peu le haut et le bas, cet écran panoramique fait disparaître une partie de l’environnement, et le spectateur baisse les yeux vers le plateau pour aller le chercher, ce qui articule mieux le rapport cinéma-théâtre. Dans la mesure où on veut que le spectateur se construise sa narration avec les deux, on ne doit pas tout résoudre à l’image. On doit aussi créer du manque, pour que le spectateur aille chercher sur le plateau. »

 

Sur la scène, les deux cadreurs, Christophe Gaultier et Nicolas Doremus, sont présents en permanence, dans ce long plan-séquence qu’est aussi le spectacle, filmant en direct, accompagnant les comédiens, zoomant et dézoomant, créant du hors-champ. « Cyril aime beaucoup le close-up [gros plan], donc on cadre souvent des visages très serrés, précise Christophe Gaultier. La construction de l’image se fait avec la peau, les yeux, les regards. Les échelles sont énormes, on peut avoir un visage qui fait 4 mètres de large, soit cent fois sa taille réelle… Les plans très serrés, surtout si on les cadre en contre-plongée, créent de la mentalisation : ils aident à faire sortir les démons des personnages, en soulignant ce qu’ils pensent, ce qui les torture. On travaille aussi sur le hors-champ, tout ce que Tchekhov n’écrit pas mais que l’on entend entre les lignes, tout ce qui flotte de non-dits entre les personnages : la vidéo est un outil formidable pour cet auteur-là. »

 

Pour les treize comédiens du spectacle, Vincent Berger (Platonov) et Olivia Corsini (Anna Petrovna) en tête, le dispositif de Cyril Teste est une gageure, qui exige autant de virtuosité que de présence quasi animale au plateau. Ils ne s’en plaignent pas. « En ramenant Platonov [qui durerait huit heures si la pièce était jouée dans son intégralité] à une soirée de moins de deux heures, Cyril nous conduit d’emblée vers un excès, une rythmique qui court au galop et qui déteint sur la vision des personnages, en faisant des êtres dans une drôle d’énergie du désespoir famélique », constate Olivia Corsini.

Quant à Vincent Berger, il tient à garder son Platonov relativement opaque : « C’est une déclinaison d’Hamlet, un révélateur de toute la médiocrité qui l’entoure, analyse le comédien. Il est celui qui libère les démons, dans cette opération un peu chamanique que mène Cyril Teste. »

 

 

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Un Printemps des comédiens entre valeurs sûres et découvertes
 

Sur l’autre rive, d’après Platonov, de Tchekhov. Mise en scène de Cyril Teste. Printemps des comédiens, Montpellier, du 30 mai au 1er juin. Puis tournée de septembre 2024 à mars 2025. Printempsdescomediens.com

 

 

Fabienne Darge (Annecy, envoyée spéciale) / LE MONDE

 

Légende photo : Haini Wang (Sacha) et Charles Morillon (Ossip), dans « Sur l’autre rive », mise en scène de Cyril Teste inspirée de « Platonov », de Tchekhov, à Bonlieu-Scène nationale Annecy, en avril 2024. SIMON GOSSELIN

 
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Lisa Guez met en scène Loin dans la mer avec la Compagnie de l’Oiseau-Mouche

Lisa Guez met en scène Loin dans la mer avec la Compagnie de l’Oiseau-Mouche | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie Plantin dans Sceneweb - Publié le 15 nov. 2023

 

 

 

Librement adapté de La Petite Sirène de Hans Christian Andersen, Loin dans la mer met en scène cinq comédien.nes de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche. Dans une réécriture et une direction signée Lisa Guez, le spectacle aborde des motifs universels et remet au goût du jour son intrigue tout en revenant à sa source. Le résultat, sensible et émouvant, transcende les enjeux de différence liés au handicap de ses interprètes.

 

La troupe de l’Oiseau-Mouche a ceci de singulier qu’elle est constituée de comédien.nes professionnel.les en situation de handicap psychique ou mental. Elle existe depuis déjà plus de quarante ans et cette aventure au long cours est jalonnée de rencontres passionnantes avec des artistes du spectacle vivant, donnant naissance à des créations aux sensibilités et esthétiques à chaque fois différentes. Une aubaine pour les interprètes, sans cesse confrontés à des personnalités singulières, enrichis par leurs univers et méthodes de travail. Une aubaine pour nous qui voyons naître au fur et à mesure des spectacles éclectiques, allant chercher du côté des grands auteurs, de la danse, osant des dramaturgies contemporaines ou piochant dans le vaste répertoire des contes comme cela avait été le cas il y a de ça une petite dizaine d’années avec Un Stoïque Soldat de plomb.

 

 

Cette saison, place à la metteuse en scène Lisa Guez et son écriture de plateau au plus près d’une conscience féministe dans l’air du temps. Après un workshop avec la troupe autour du conte de La Petite Sirène, l’envie lui vient de continuer l’aventure et d’en faire un spectacle. Désir partagé par la compagnie. Les dés sont lancés et la vaillante équipe de se jeter à l’eau dans les vagues de la création et de plonger tête la première dans les profondeurs de la mer. L’histoire sied à merveille à Lisa Guez, familière et friande d’une matière première issue des contes qui lui permettent de se confronter à des récits archaïques, des mythologies anciennes, en les ramenant jusqu’à nous pour mieux en dégager les hiatus et les correspondances. Après Les Femmes de Barbe bleue inspirées par le conte de Perrault, après Celui qui s’en alla, inspiré par un conte de Grimm, c’est au tour d’Andersen de servir de terreau à cette nouvelle création.

 

 

Sur un plateau quasiment nu, constitué de quelques modules d’assise positionnés à l’avant et à l’arrière, les interprètes entrent de part et d’autre, viennent nous faire face en avant-scène, les yeux dans les yeux. Et s’adressent à nous le plus simplement du monde : « est-ce que vous êtes déjà tombés amoureux ? ». Un préambule en forme de prologue qui vient nous chercher dans notre vécu, dépose le leur à nos pieds avant de quitter le réel pour pénétrer la fable et ses abysses. Nul besoin de décor d’océan ni de costume à queue de poisson pour nous faire croire que nous sommes au royaume des fonds marins. Là est la vertu du théâtre, les choses sont dites et nous y croyons. Notre héroïne sirène porte un jogging et des converses, elle s’appelle Céleste (funambule et lunaire Dolorès Dallaire) et veut mettre des épices dans sa vie. La grand-mère est un comédien (magnifique Frédéric Foulon), un filet de pêche sur les genoux, elle « connait le secret des choses » et raconte des histoires de là-haut, du monde des humains, à la jeunesse aquatique qui l’écoute avec dévotion. La sorcière est une vamp en manteau de fourrure léopard et lunettes noires (délicieuse Marie-Claire Alpérine qui exprime sa large palette dans plusieurs rôles). Quant à Chantal Foulon, elle est bouleversante en sœur éplorée, déchirée de voir sa cadette partir.

L’histoire, on la connaît, le Walt Disney est passé par ici, édulcorant sa fin pour mieux conquérir le tout public et ne pas froisser les âmes sensibles. Lisa Guez revient à la source mais elle se permet aussi d’y intervenir, pénétrant la chair même de la narration pour jeter un pavé dans la mare quand la moutarde lui monte au nez. Pour qui se prend-il, ce prince à la vie facile, girouette inconstante, qui retire sa promesse tout juste après l’avoir donnée ? Et brise le destin de celle qui joue sa vie en l’épousant. Mais pour autant, se marier avec une femme que l’on n’aime pas vraiment, les pensées préoccupées par une autre, était-ce la solution ? Non. Kévin Lefebvre campe avec une belle sincérité ce prince aux prises avec ses sentiments contradictoires et ce tribunal improvisé qui s’insurge contre son comportement.

Si elle conserve la trame narrative originelle et rend grâce à sa dimension quasiment mythologique à coup d’airs classiques universels (Prokofiev, Schubert, Beethoven) qui en augmentent la force de frappe émotionnelle, Lisa Guez s’offre des libertés bienvenues et à propos, tordant le cou avec humour aux idées reçues. Depuis l’intérieur même du récit, elle en interroge le déroulé sans jamais perdre le fil de la fiction. La vraie question étant : Pourquoi cette jeune sirène est prête à sacrifier sa voix, sa famille, sa patrie et son indépendance pour suivre un inconnu aperçu une seule fois et sauvé du naufrage ? La légende, romantique et chevaleresque, devient, pour l’autrice et metteuse en scène, un véhicule pour l’imaginaire autant qu’un terreau de réflexion à son sujet. Sans quitter des yeux la fable issue de la culture populaire, elle lui injecte une dimension critique et questionne de l’intérieur la représentation de l’amour.

 

 

Marie Plantin – www.sceneweb.fr

Loin dans la mer
Ecriture et mise en scène Lisa Guez
Avec Marie-Claire Alpérine, Dolorès Dallaire, Chantal Foulon, Frédéric Foulon, Kévin
Lefebvre, interprètes de la Cie de l’Oiseau-Mouche
Lumière, costumes et scénographie Sarah Doukhan
Créateur sonore Thomas Tran
Regard chorégraphique Cyril Viallon
Collaborateur artistique Alexandre Tran
Assistante à la mise en scène Dounia Brousse
Direction technique Greg Leteneur
Régisseur Baptiste Crétel, Julien Hoffmann et Grégoire Plancher (en alternance)
Production Compagnie de l’Oiseau-Mouche
Coproduction Compagnie 13/31, La Comédie de Béthune Centre Dramatique National,
Théâtre de la Ville – Paris

A partir de 10 ans

Durée : 1h10

 

 

9 > 10 novembre 2023
Lieux Culturels Pluriels – Le Grand Sud Lille

14 novembre 2023
Studio 4 Marquette

07 > 09 déc. 2023 (dans le cadre du Festival Ad Hoc)
Le Volcan – Scène nationale du Havre Le Havre

06 > 16 février 2024
Comédie de Béthune CDN / Itinérance Béthune

14 > 15 mars 2024
Le Canal Théâtre du Pays de Redon Redon

27 mars 2024
Conservatoire de la Baie de Somme Abbeville

28 mai > 2 juin 2024
Théâtre de la Ville Paris

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Dans « Les Vagues », Elise Vigneron et ses marionnettes de glace font danser les fantômes de Virginia Woolf

Dans « Les Vagues », Elise Vigneron et ses marionnettes de glace font danser les fantômes de Virginia Woolf | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans Le Monde - 27 mai 2024

 

Librement adapté du long poème en prose de l’écrivaine britannique, le spectacle, très réussi sur le plan visuel, offre de magnifiques tableaux éphémères sur le passage du temps.

Lire  l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/27/dans-les-vagues-elise-vigneron-et-ses-marionnettes-de-glace-font-danser-les-fantomes-de-virginia-woolf_6235837_3246.html

Diplômée de l’Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette de Charleville-Mézières en 2005, Elise Vigneron a choisi, dès ses débuts, de se situer à la croisée de plusieurs disciplines : la création marionnettique ; les arts plastiques ; la danse ; la performance scénique ; l’adaptation théâtrale de textes littéraires. Depuis son premier solo, Traversées, en 2009, qui marque aussi la naissance de sa compagnie du Théâtre de l’Entrouvert, elle mêle l’animation de différents matériaux – en particulier la glace –, l’exploration de la matière textuelle et la mise en situation du public dans des dispositifs immersifs.

 

Créé en octobre 2023 au Théâtre Joliette de Marseille, son dernier spectacle, Les Vagues, continue d’explorer cette voie artistique plurielle sur fond de glace, littérature et manipulation de marionnettes à taille humaine.

 

Autant le dire d’emblée, ce qui marque le plus dans cette création, ce n’est pas tant le texte de Virginia Woolf, Les Vagues (1931), qui passe un peu au second plan derrière la richesse visuelle de l’ensemble et la beauté impressionnante de certains tableaux esthétiquement très réussis. Manipulées à vue par cinq jeunes comédiens et comédiennes – Loïc Carcassès, Thomas Cordeiro, Zoé Lizot, Chloée Sanchez, Azusa Takeuchi (dont on peut mesurer les talents de danseuse au cours du spectacle) –, les marionnettes en glace, inlassablement refabriquées avant chaque représentation, ont une durée de vie forcément limitée.

 

En une heure, elles fondent inexorablement, pour se transformer en une vaste étendue d’eau qui envahit progressivement le plateau. Elise Vigneron inscrit ainsi, avec brio, dans le matériau même de fabrication de ses créatures, la notion du temps qui passe, de l’existence éphémère des êtres, qui constitue le thème central de sa pièce.

Ballet quasi féerique

Les monologues intérieurs des cinq personnages, cinq amis qui se connaissent depuis leur plus jeune âge, et se retrouvent régulièrement à des étapes clés de leurs existences, de l’enfance jusqu’à la mort, sont parfois à peine audibles, soit de manière voulue par Elise Vigneron qui les fait disparaître derrière une musique assourdissante ou derrière des bruits amplifiés (eau qui ruisselle, glace qui craque ou qui fond, etc.), soit de façon inconsciente.

 

La puissance formelle de la mise en scène, en particulier quand l’un ou l’une des comédiens entame un ballet aérien et quasi féerique avec sa marionnette de glace, occulte parfois la parole des artistes tant le cerveau du spectateur est happé par la dimension onirique des images qui s’y bousculent.

 

Intéressante réflexion sur l’inéluctable transformation des choses et des êtres vivants au fil du temps, hantée par une multitude d’ombres et de fantômes, matérialisés par les comédiens et leurs doubles marionnettiques, Les Vagues est une création profondément originale qui imprègne l’esprit d’images poétiques (et aquatiques). Elles y restent gravées bien longtemps après la fin de la représentation.

 

Les Vagues, d’après Virginia Woolf. Mise en scène : Elise Vigneron (Théâtre de l’Entrouvert). Avec Loïc Carcassès, Thomas Cordeiro, Zoé Lizot, Chloée Sanchez, Azusa Takeuchi (en alternance avec Yumi Osanai). En tournée à partir d’octobre, avec notamment deux dates, les 10 et 11 octobre, dans le cadre du festival Mfest, Marionnettes d’enfer à Amiens.

 

Cristina Marino

 

Légende photot : Jinny (Azusa Takeuchi) dans « Les Vagues », d’Elise Vigneron, au Théâtre Joliette de Marseille, en octobre 2023, lors de la résidence de création du spectacle. DAMIEN BOURLETSIS

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Oui, d’après Thomas Bernhard, mise en scène Célie Pauthe.   A L’Odéon-Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier 17è. 

Oui, d’après Thomas Bernhard, mise en scène Célie Pauthe.   A L’Odéon-Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier 17è.  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans Hottello - 23 mai 2024

 



Oui, d’après Thomas Bernhard, traduction Jean-Claude Hémery, adaptation et conception Claude Duparfait, Célie Pauthe, mise en scène Célie Pauthe. Avec à l’image Mina Kavani, scénographie Guillaume Delaveau, lumière Sébastien Michaud, son Aline Loustalot, vidéo François Weber, costumes Anaïs Romand.

 

L’auteur autrichien Thomas Bernhard (1931-1989) vivait entre sa ferme fortifiée d’Ohlsdorf, en Haute Autriche, et Vienne : il a très tôt souhaité « se réveiller et avoir une maison… », le désir de « trouver… une place en ce monde » et de « fonder son propre paysage ».

 

 

Le lien métaphorique entre bâtiments concrets et construction intérieure de soi est manifeste, comme la tentative de maîtriser sa propre situation, via des travaux sans fin de restauration. Plus les bâtiments sont délabrés, plus l’auteur/narrateur leur est attaché.

Oui (1978) est la rétrospective autobiographique d’une phase immobilière et de relations de longues années d’amitié, de 1965 à 1975, avec le marchand de biens Karl Hennetmair (H. Höller, T.B., Une vie, L’Arche). Dans le récit, celui-ci, nommé Moritz, est en même temps le public auquel se confie le narrateur. 

 

 

L’écriture fait retour sur la nécessité de raconter, de revenir sur ces années de jeunesse, et sur tous les êtres fréquentés et aimés, avec lesquels il s’est construit. Vieillissement, désillusion, échec, introspection, nulle complaisance articulent cet impitoyable flux verbal. 

 

 

« La Persane » défunte est à la naissance de la narration, à cette époque où le narrateur s’efforce d’accomplir, de mauvaise grâce, un travail scientifique sur les anticorps dans la nature – le reflet d’une posture et d’une écriture comme empêchées de commencer. Heureusement, il existe la musique de Schumann et la philosophie de Schopenhauer.

 

La metteuse en scène Célie Pauthe retrouve Thomas Bernhard qu’elle connaît bien et son interprète privilégié – le clairvoyant Claude Duparfait dans le rôle du « narrateur-visionnaire » relatant cet attachement à la Persane, rencontre émouvante qui l’a sauvé de son propre désespoir. 

 

La figure féminine disparue qui non seulement s’est éloignée de son pays, mais étouffe sous l’emprise conjugale, connaît un destin tragique : le Suisse, son mari, achète un mauvais terrain et y bâtit une maison de béton aux « murs humides et froids » pour y enfermer son épouse, « sorte de féminicide par maison interposée»,   pour la conceptrice.

 

A l’orée de la représentation, Claude Duparfait, simplement assis sur sa chaise, propose au public de lire un extrait de Schopenhauer, évoquant l’image collective des porcs-épics qui s’attirent puis se repoussent alternativement : « Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur vie intérieure, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses manières d’être antipathiques et leurs insupportables défauts les dispersent à nouveau… » ( Aphorismes sur la sagesse dans la vie.)

Sur scène, Claude Duparfait se glisse avec aisance dans le souffle et le phrasé bernhardiens qu’il fait siens, révélateurs de cette névrose obsessionnelle universelle – donner sens à sa vie – et qui alimentent la dynamique poétique si particulière de cette écriture, entre énonciation, répétition, envoûtement et patiente élucidation en cours.

 

Reviennent à l’esprit du narrateur et à l’image sur écran pour les spectateurs, des souvenirs poignants : les promenades dans la forêt de mélèzes avec la femme secrète, ces lieux où se sont noués des liens – sentiments et regards en accord sur le monde. 

Tension – émotion et esthétique – d’une entente non avouée qui s’accomplit dans la Nature avec chants d’oiseaux, bois d’arbres et vent dans les feuilles d’automne, sous la lumière de saison, avec la présence solaire de Mina Kavani, Persane mélancolique marchant près du Narrateur – belle conversation approfondie entre des êtres en alerte, isolés des autres.

 

 

Le public entre la scène et l’écran est à l’écoute d’une séance bernhardienne fascinante puisqu’on y voit vivre l’amour et l’amitié, et l’impossibilité que perdure l’accord existentiel éprouvé. De désespoir, le manteau noir de peau retournée, récupéré de la défunte et endossé plus tard par le narrateur, est rageusement jeté à terre en un geste magnifique. 

 

 

Véronique Hotte

 

 

Du 24 mai au 15 juin 2024, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche le lundi à L’Odéon Théâtre de l’Europe – Ateliers Berthier, 1, rue André Suarès Paris 17e. Tél  01 44 85 40 40.

 
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez
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Simon Falguières allume trente six chandelles 

Simon Falguières allume trente six chandelles  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 23 mai 2024

 

 

Dans « Le cœur de la terre », Simon Falguières entraîne dans son univers, en les questionnant et en les mettant en scène, 36 élèves sous peu bacheliers de Vire et de La Garenne-Colombes. Le spectacle ouvrait le festival A vif au Préau, CDN de Vire et viendra à Nanterre-Amandiers.

 

 

Dans l’univers de Simon Falguières il y a toujours des êtres qui se perdent pour mieux se retrouver, qui s’endorment pour mieux se réveiller, et qui voyagent dans les lisières -lesquelles riment avec mystères-  et au-delà pour mieux connaître, décortiquer et chatouiller le verbe aimer. On retrouve ces enchantements dans cette nouvelle pièce Le cœur de la forêt en deux parties, comme les deux faces d’une même pièce.

 

 

« J’ai depuis de nombreuses années le désir d’écrire sur ce double mouvement poétique de la Catabase (descente dans le monde des morts) et de l’Anabase (ascension vers les sommets lumineux) » écrit Simon Falguières. Le fait de travailler à la fois dans des établissements scolaires du bocage virois et dans un lycée pro de la banlieue parisienne du côté de Nanterre lui a permis d’assouvir pleinement cette envie  poétique. « Dans la Catabase ce sont des jeunes gens de milieu rural qui s’enfuient par un souterrain forestier dans le coeur de la terre. Dans l’Anabase, c’est une bande de jeunes citadins qui s’enfuient dans la montagne » écrit-il.

 

 

Les uns montent, les autres descendent, ce qui compte, c’est le chemin, ses embûches autant que ses récits et ses guirlandes de questions ( « Est-ce qu’on est entouré de gens qui ont peur ? » , « Est-ce que la volonté n’est pas une question sociale ? » , etc) portées par la génération de ces adultes en herbe . Un corbeau, si cher aux légendes et aux chamanes, viendra s’inviter en cours de route. Et bien d’autres choses à commencer par les rêves et les questionnements pimentés d’inquiétude de tous ces jeunes qui, quelques jours après la fin des représentations passeront leur bac.

Le corbeau (jouée par Emmie) s’impatiente, alors « la fable » entre en scène, voici Ella celle qui se pose toujours des questions « parce qu’elle ne veut pas passer à côté de son coeur » dit son amie Zélie. Le corbeau emporte Ella, « je chante le coeur d’Ella qui tremble de voler dans le ciel à coté du corbeau » dit Maïtena. Le corbeau qui connaît la musique donne à Ella une petite clef en forme de petit oiseau en or. A la séquence suivante la voici chez elle, dans son lit, sa mère qu’inquiète de son agitation ; « maman je ne veux pas passer à côté de ma vie. Je veux être sûre de faire ce que je veux » dit Ella avec derrière elle, toutes les Ella.

De l’autre côté du monde, les jeunes du lycée pro la Tournelle nous disent : le monde a explosé, les gravats sont partout, etc...

 

Mohamed Amin regarde le public : « ils ne nous croient pas ». Alors, à la place de Paris, apparaît une montagne. « C’est l’histoire d’un groupe d’adolescents qui entreprend l’ascension de la montagne nouvelle » dit Mattéo. Et le tournage d’un film se met en place. D’autres rebondissements vont se succéder. Les temps vont de dilater, se compresser, cohabiter...

 

 

Du Simon Falguières pur jus et juteux , un univers à ressort et rebondissements dans lequel les adolescents se sentent aussi à l’aise que les comédiens pros. Ella, n’est plus une mais une multitude. « Je vais aimer /beaucoup /je vais être heureuse / Beaucoup/et malheureuse/ beaucoup/ mais je ne m’arrêterai jamais » disent-elles.

 

 

A Vire, le festival A vif se poursuit au Préau jusqu ‘au 28 mai (programme sur www.lepreaucdn.fr). Le spectacle Le coeur de la terre, se donnera au Moulin de l’Hydre de Saint-Pierre d’Entremont le 25 mai à 16h puis au théâtre de Nanterre Amandiers le 8 juin à 18h.

 

Jean-Pierre Thibaudat 

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« La fête du slip » : Mickaël Délis se met (presque) à nu

« La fête du slip » : Mickaël Délis se met (presque) à nu | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Gérald Rossi dans L'Humanité - 23 mai 2024

 

Auteur et interprète, Mickaël Délis présente le second volet d’une autobiographie imaginaire dans « La fête du slip », seul en scène mais avec plusieurs personnages, dont son incontournable et impayable mère.

 

« C’est quoi un mec en vérité ? », se demande Mickaël Délis dans « La fête du slip », son second seul en scène. Après un savoureux premier volet intitulé « Le premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité », aussi drôle que piquant, le comédien, qui convoque à nouveau les personnages de sa mère, de son père ou de son psy… (qu’il mime tous avec malice), s’embarque dans une nouvelle aventure. Au sous-titre dénué d’ambiguïté : « Le Pipo de la puissance ».

 

 

Mickaël Délis est l’auteur (avec Romain Compingt) et l’interprète de cette sorte d’autobiographie imaginaire. Papy de Trappes, Vladimir Perrin, et David Délis l’ont assisté pour la mise en scène. Le décor est léger avec un micro sur pied et quelques tubes lumineux qui changent de couleur selon les moments du récit. Des tubes qui deviennent aussi arc-en-ciel, histoire de bien revendiquer l’attirance sexuelle vers des garçons du même style.

Comique, cru, jamais vulgaire

On s’en doutait un peu « La fête du slip » ne tourne pas autour du pot. Le rapport de l’auteur avec son pénis est, comme il le dit lui-même « pour le moins névrotique », mais il se soigne. Et il le fait en posant une question essentielle : « Qu’est ce qui se joue derrière le spectre de la puissance ? »

 

 

S’il se met à nu (au sens figuré), et c’est comique, cru, jamais vulgaire non plus, Mickaël Délis n’en aborde pas moins quelques questions franchement pas drôles du tout. Comme les maladies sexuellement transmissibles. Et parmi elle le sida, toujours tristement d’actualité.

 

 

La tendresse est aussi au rendez-vous. N’en disons pas plus, tout en annonçant pour presque bientôt, le troisième volet de cette introspection originale, qui devrait avoir pour titre « Les paillettes de leur vie ou la paix déménage ». Il y sera question de paternité, de filiation et du don de sperme. Toujours histoire de dire que la taille du pénis ne fait rien à l’affaire, et que l’insupportable domination patriarcale est bien une très moche et vielle affaire.

 

Gérald Rossi / L'HUMANITE

 

 

Jusqu’au 14 juin, Théâtre de la Reine Blanche ; 2, passage Ruelle, Paris 18e ; téléphone : 01 40 05 06 96 ; reineblanche.com

. En juillet au Festival d’Avignon Off.

 

 

Légende photo : Dans un décor de tubes lumineux Mickaël Délis s’en prend avec humour à la puissance masculine.
© Marie Charbonnier

 
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«Les Vagues» sur scène : Virginia Woolf au fil de l’eau 

Par Lara Clerc dans Libération - 21 mai 2024

 

Dans une courte mise en scène et à l’aide de marionnettes de glace, Elise Vigneron retrace chaque étape de la vie des personnages du roman.

 

Une boule de glace se brise sur scène, et, au même moment, un frigo s’illumine. A l’intérieur, cinq enfants sont gelés, comme endormis. Une première vision presque horrifique de cette adaptation du roman expérimental les Vagues de Virginia Woolf, pourtant les gestes des marionnettistes sont tellement délicats quand ils viennent tirer leurs doubles de leur sommeil. Ils manipulent ces petits êtres de glaçons, qui bougent parfois par à-coups, parfois gracieusement, à l’unisson avec leurs maîtres ou non, ils voltigent, tombent… Et fondent, réchauffés par la lumière des projecteurs.

 

 

 

C’est sans doute à cause de ces marionnettes de glace que la mise en scène d’Elise Vigneron réduit le texte écrit en 1931 par Virginia Woolf à peau de chagrin – une heure de représentation seulement –, au péril de la profondeur de ses personnages. Si un des six protagonistes originels est effacé, les cinq restants peinent à devenir complexes, à quitter la surface, faute de temps, ce qui leur permet paradoxalement de mieux se fondre les uns dans les autres, devenant plusieurs facettes d’une même humanité, d’abord enfant puis adulte. A chaque étape de la vie, ils prononcent une courte tirade, peut-être même une réplique, s’attardant sur ces évènements qui sont presque des détails de l’enfance, mais qui forgent une personnalité (petite, Jinny a embrassé Louis, une heureuse découverte pour elle, mais une déchirure pour Suzanne, qui ne peut réfréner sa jalousie).

Une mare sur scène

Mais aux longs monologues originels, la mise en scène favorise souvent le mouvement. Celui de ses marionnettes, qui sont envoyées dans les airs, mettent un genou à terre, se recroquevillent… Mais aussi celui de ceux qui en tirent les (très nombreuses) ficelles, qui saisissent les corps gelés, les entraînent et dansent avec eux. On retrouve alors cette fragilité des personnages, comme celle de Rhoda alors qu’elle est tiraillée dans les airs, enfant proche d’Antigone qui se refuse au moindre compromis.

 

 

Elle, comme les autres, se désintègre à mesure que le temps passe. Une mare se forme sur scène, alimentée par les «plic-ploc» des gouttes qui tombent des blocs glaçons. Ça y est, les enfants amaigris sont devenus grands. Il leur manque un pied, un bras, un torse… Ils se réunissent une fois de plus, et découvrent le décès de Percival, personnage jusque-là jamais évoqué, mais l’évènement achève de les vieillir.

La brume qui entoure le récit prend un nouveau tour, alors que la marionnettiste Azusa Takeuchi dispose très lentement des corbeaux dans l’eau laissée par les marionnettes en suspension, dans un silence le plus complet. Elle aura magnifiquement dansé avec Jinny, la détruisant pour de bon dans la lumière crépusculaire. Comme ses quatre compagnons de scène, Loïc Carcassès, Thomas Cordeiro, Zoé Lizot et Chloée Sanchez, elle se sera aussi contorsionnée, manipulant les fils avec ses mains, ses bras, ses pieds. Les questions existentielles ont réduit les cinq enfants-glaçons en êtres de fils de fer.

 

Lara Clerc / Libération

Les Vagues mis en scène par Elise Vigneron, d’après Virginia Woolf, théâtre de la Tempête, 75012, jusqu’au 26 mai, puis les 10 et 11 octobre au Mfest (Amiens), le 8 novembre à Les Salins (Martigues), le 19 novembre à Scènes 55 (Mougins), les 22 et 23 novembre au Théâtre de Nice et les 27 et 28 novembre au Théâtre du Bois de l’Aune (Aix-en-Provence)
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«La Réunification des deux Corées» de Joël Pommerat, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre 

«La Réunification des deux Corées» de Joël Pommerat, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération- 21 mai 2024

 

Créée il y a une douzaine d’années, la pièce, qui porte sur la puissance de l’amour et son absence, revient au Théâtre de la porte Saint-Martin avec les mêmes acteurs qu’à l’origine. Plus poignante encore.

 

On les avait quittés il y a une douzaine d’années, et les voici qui reviennent comme dans un songe. Ce sont les mêmes, les mêmes acteurs dans les mêmes rôles, les mêmes mots, les mêmes obsessions, mais lestés du poids des années, comme cette femme qui, inlassablement – qu’elle ait 30, 50, 60 ans – éprouve le besoin de faire croire et de se persuader qu’elle est mère et convoque une nouvelle baby-sitter afin qu’elle garde son enfant fictif. Lors de sa création à l’Odéon-Berthier, la Réunification des deux Corées écrit et mis en scène par Joël Pommerat était un triomphe, le genre de spectacle où il est impossible de dénicher une place, ce qui n’est pas si fréquent au théâtre. Et c’était un triomphe paradoxal porté entièrement par des situations familières et étranges d’échecs. Les acteurs – Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu – fabuleux de subtilité, tous partie intégrante de l’aventure de Joël Pommerat depuis ses débuts, avaient l’âge des situations qu’ils jouaient. On recevait de plein fouet cette traversée cruelle et épurée des émotions les plus partagées.

Intense mélancolie

Est-ce seulement possible ? Une douzaine d’années plus tard, la pièce, constituée d’une succession de scènes qui portent sur le délitement des liens amoureux, la crainte de l’abandon, l’aridité d’une vie sans amour, est devenue encore plus poignante. L’oripeau des années écoulées teinte le noyau même de la pièce d’une intense mélancolie, un peu à la manière des nouvelles de l’écrivain américain Raymond Carver. L’excellente idée de Joël Pommerat est d’avoir conservé au fil du temps exactement la même distribution qu’à la création de la pièce. Si bien que tout se passe comme si, en notre absence, les personnages avaient continué à buter sur les mêmes incongruités, souffrances, déchirements, absurdités sur une même scène intérieure. De manière légèrement fantomatique, ils portent des costumes impossibles à dater, qui correspondent, imagine-t-on, à leur jeunesse perdue. La pièce n’a pas vieilli, mais elle s’est comme creusée, élimée au fil du temps.

Exigence artistique

Comme toujours chez Pommerat, la scène est vide, sans décor, et le trouble surgit du noir profond et total du théâtre, d’un bruit de talon dans l’obscurité ou d’un rond de lumière soudain, petite lampe de poche qui éclaire les ténèbres. On croit voir des escaliers, l’arrière-fond d’un mariage qui n’aura pas lieu, un terrain vague où une prostituée s’échine à ce qu’un potentiel client lui dise qu’elle est avant tout désirée. Ou encore un appartement bourgeois. On les hallucine. Le sculptage du son et de la lumière propulse l’imagination de manière bien plus puissante que tout décor réel. Lors de la création aux ateliers Berthier, la pièce se jouait en bifrontal, les spectateurs dans des gradins face-à-face enserraient les personnages, qu’on suivait de profil.

 

Aujourd’hui, dans la grande scène du Théâtre de la porte Saint-Martin, ils sont face à nous, mais aussi parmi nous, dans la travée centrale. C’est une nouvelle mise en scène conçue pour l’espace de ce lieu avec une jauge de 700 places alors que le dispositif d’origine ne pouvait accueillir que 200 spectateurs environ. De Contes et Légendes à la Réunification des deux Corées, le théâtre privé de la porte Saint-Martin propose donc depuis janvier et jusqu’à la mi-juillet sept mois entièrement dévolus à Joël Pommerat, metteur en scène exigeant, tandis que ce même théâtre a ouvert sa saison avec une création, Un chapeau de paille d’Italiemontée par Alain Françon, lui aussi plutôt habitué aux scènes subventionnées publiques et qui, lui aussi, ne transige pas sur l’exigence artistique. Dans les deux cas, les spectacles jouent salle comble et longtemps. Un choix et des exceptions notables si l’on songe à la durée de vie de plus en plus éphémère de la plupart des créations. On y reviendra.

 

Anne Diatkine / Libération 

La Réunification des deux Corées de et mis en scène par Joël Pommerat, au Théâtre de la porte Saint-Martin (75010), jusqu’au 24 juillet.
 
Légende photo : Les acteurs de «la Réunification des deux Corées», fabuleux de subtilité, sont tous partie intégrante de l’aventure de Joël Pommerat depuis ses débuts. (Agathe Pommerat)
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“Terrasses” de Laurent Gaudé : au Théâtre de la Colline, le récit poignant de la nuit des attentats du 13 novembre

“Terrasses” de Laurent Gaudé : au Théâtre de la Colline, le récit poignant de la nuit des attentats du 13 novembre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Kilian Orain dans Télérama - 21 mai 2024

 

Retour sur les attentats de novembre 2015 à Paris. Un spectacle choral déchirant, sobrement mis en scène par le Canadien Denis Marleau.


TTT Très Bien

 

"Moi, je ne savais pas encore. Je repassais dans ma boutique. Et puis une cliente est arrivée au moment où je fermais. Elle avait l’air secouée, comme si on venait de lui voler son sac. “Vous avez vu ?”, m’a-t-elle demandé. Je ne savais pas de quoi elle parlait. “Il y a des attentats à Paris…” » Cette mère de jumelles s’apprête à recevoir la plus déchirante des nouvelles. Comme cent trente personnes ce soir du 13 novembre 2015, ses filles viennent de perdre la vie. À ces victimes s’ajouteront des centaines de blessés, des milliers de traumatisés et autant de proches endeuillés : une communauté s’est constituée malgré elle, dans l’horreur. Près de dix ans après, se joue à La Colline à Paris un spectacle retraçant à hauteur d’homme cette nuit noire de l’histoire de France.

 

 

Sur scène, pas moins de dix-sept comédiens donnent chair au très beau texte de Laurent Gaudé. Et il fallait probablement un étranger, le Canadien Denis Marleau, pour le transposer au plateau. Lui qui n’a pas vécu directement ces attentats a opté pour une évidente sobriété dans sa mise en scène, afin de ne pas écraser des mots déjà lourdement chargés. La scénographie se concentre ainsi sur des plateformes nichées dans le sol, qui se lèvent, basculent et déplacent les personnages.

Des comédiens bouleversants

En fond, sur un gigantesque écran, de vagues images en noir et blanc sont projetées au long des dix tableaux que compte le spectacle. Elles suggèrent plus qu’elles n’illustrent un lieu, une atmosphère : les rues de Paris, les façades d’immeubles, puis les chaises en canevas tressé d’un restaurant, les murs de ce qu’on devine être l’intérieur du Bataclan où un groupe de personnages dansent jusqu’à l’ivresse, avant les premiers tirs et les gyrophares des voitures de police… Sans jamais tirer la corde facile de l’émotion, les comédiens – citons notamment Axel Ferreira, Lucile Roche, Monique Spaziani, simplement bouleversants – reconstituent avec justesse et engagement cette nuit-là. Tout y est : couples, parents, enfants, pompiers, policiers, médecins, infirmières…

 

Pour raconter l’ampleur de cette tragédie, Laurent Gaudé a fait le choix des faits. Les personnages sont œuvres de fiction, mais pas les événements qui les frappent de plein fouet. Si le cinéma et la littérature se sont emparés du sujet ces dernières années, le théâtre, lui, n’avait encore jamais accueilli de spectacle de cette envergure. C’est désormais chose faite avec Terrasses à La Colline. Les six cent cinquante-cinq spectateurs de la grande salle vibrent à l’unisson. Seul le théâtre permet une telle expérience.

2h05. Mise en scène Denis Marleau. Jusqu’au 9 juin à La Colline, Paris 20e.
  • Terrasses

     

    de Laurent Gaudé

     

    La Colline - Théâtre national, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

    Du 15/05/2024 au 09/06/2024

 
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Création d’une commission d’enquête sur les violences dans le cinéma et le spectacle vivant

Création d’une commission d’enquête sur les violences dans le cinéma et le spectacle vivant | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur le site d'ARTCENA - 6 mai 2024

 



POLITIQUE CULTURELLE
Cette résolution a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.
 

Auditionnée le 14 mars 2024 par l’Assemblée nationale, la comédienne Judith Godrèche – qui a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour viols sur mineure – avait conclu son propos liminaire en demandant aux députés de « prendre l’initiative d’une commission d’enquête sur le droit du travail dans le monde du cinéma, et en particulier ses risques pour les femmes et les enfants ». Le jour même, la députée écologiste de la 2e circonscription des Hauts-de-Seine, Francesca Pasquini, émettait une proposition de résolution allant dans ce sens. Justifiée,  a-t-elle rappelé  dans l’exposé des motifs, par la nécessité de « briser les mécanismes d’omerta autour de ces violences », cette commission d’enquête   concernera les violences commises dans le secteur du cinéma, mais aussi ceux de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. La députée a également précisé que ses travaux devront porter sur « toutes formes d’abus, qu’ils soient sexuels, physiques ou psychologiques », ce qui permet de définir le champ des atteintes aux mineurs.

 

Soumise au vote le 2 mai 2024la proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité par les  52 députés présents.

 

 

La commission d’enquête sera chargée :

• d’évaluer la situation des mineurs évoluant au sein des secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ;

• de faire un état des lieux des violences commises sur des majeurs dans ces secteurs ;

• d’identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent ces éventuels abus et violences et d’établir les responsabilités de chaque acteur en la matière ;

• d’émettre des recommandations sur les réponses à apporter.

Le texte complet du rapport déposé Francesca Pasquini tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode est disponible ici

 

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-cedu/l16b2451_rapport-fond

 

 

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Jean-Louis Martinelli, metteur en scène : « Il faut réaffecter l’argent du Pass culture en direction de la création »

Jean-Louis Martinelli, metteur en scène : « Il faut réaffecter l’argent du Pass culture en direction de la création » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Tribune par Jean-Louis Martinelli, publiée dans Le Monde - 20 mai 2024

 

 

Les nouvelles réductions budgétaires du ministère de la culture risquent d’ouvrir une crise sans précédent pour les institutions culturelles et les compagnies de théâtre et de danse. Pour l’éviter, le ministère doit réorganiser ses priorités financières explique, dans une tribune au « Monde», le metteur en scène.

 

Lire l'article sur le site du "Monde":

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/20/jean-louis-martinelli-metteur-en-scene-il-faut-reaffecter-l-argent-du-pass-culture-en-direction-de-la-creation_6234402_3232.html

En 1993 déjà, [les metteurs en scène] Patrice Chéreau [1944-2013], Bernard Sobel, Jean-Pierre Vincent [1942-2020] et Alain Crombecque [(1939-2009), ancien directeur du Festival d’Avignon] signaient une lettre ouverte alors qu’une baisse de 5 % était annoncée, après des réductions budgétaires successives. Ils manifestaient leurs inquiétudes, en écrivant notamment : « La considération du rôle réservé aux pratiques artistiques dans cette lutte incessante entre barbarie et civilisation est un des critères selon lequel on juge une société, un gouvernement. »

 

 

Le mal est ancien, certes, mais la situation d’alors n’avait pas le caractère désespérant qu’elle revêt aujourd’hui. En effet, il n’est pas une semaine depuis des mois où l’on ne puisse lire des articles alarmants sur la situation des théâtres de France.

 

 

Toute la pyramide des équipes de création est concernée, des théâtres nationaux jusqu’aux compagnies – équipes de création de théâtre, de danse, de musique, de cirque, etc., qui sont la plupart du temps sans lieu fixe d’implantation. Et ne tombons pas dans le piège qui consiste à opposer les uns aux autres car, dans tous les cas, ce sont bien tous les acteurs, techniciens, auteurs, metteurs en scène, etc. qui seront réduits à l’inactivité. Chacun des secteurs a besoin de l’autre.

Démantèlement programmé

Dernièrement, afin prétendument de résorber le déficit de la nation, 200 millions d’euros ont été amputés au petit budget du ministère de la culture, qui pourrait connaître en 2025 des réductions encore plus sensibles. Cette situation ouvre une crise à venir sans précédent. Choisissant l’affaiblissement, la mise en sommeil de nombre de lieux, voire la disparition des plus fragiles des compagnies, le politique accélère le fait que le monde se défasse.

 

Pour tenter de refaire du commun, nous avons besoin de débats, de confrontations d’idées et d’espaces sensibles dont les fictions sont porteuses en nous offrant un accès à l’autre. Ces confrontations sont nécessaires et stimulantes dans toute société ayant l’ambition d’être une démocratie. Les porte-parole des discours les plus réactionnaires ont-ils définitivement imposé leur « hégémonie culturelle » ?

 
Si cette situation se maintenait, ce ne pourrait être que la première étape d’un démantèlement programmé. Une fois les moyens octroyés à la création amputés, il sera alors aisé de déclarer que, des lieux de création aux compagnies, aucun ne remplit sa mission et donc, dans un deuxième temps, d’en réduire encore les moyens.
 
 
 
 

Et ce d’autant plus aisément que des voix ne manqueront pas de s’élever pour dire que certaines entreprises privées, qui se passent ou presque de subventions, sont à même de mettre en œuvre des spectacles qui rencontrent un large public. Va-t-on saccager cet héritage de la décentralisation culturelle, qui, malgré quelques dysfonctionnements ponctuels, nous est enviée partout dans le monde ?

Un art relégué à la marge

Il est urgent de se mettre au travail si l’on ne veut pas assister à ce que le philosophe Gilles Deleuze [1925-1995] prévoyait au début des années 1980 lorsqu’il nous mettait en garde contre le  façonnement d’espaces juridiques, économiques et culturels complètement préfabriqués où toute création et toute pensée allaient devenir impossibles.

 

 

A cet égard, la quasi-absence permanente de troupes d’artistes dans nos théâtres vient confirmer cette prédiction. Dans le même ordre d’idées, alors que la fabrique de l’art est ce qui fonde la légitimité de l’existence des théâtres publics, on nomme « marge artistique » la somme restant disponible aux fins de création, une fois pris en compte les montants affectés à la marche des lieux. Alors, oui, l’art du théâtre est bien relégué à la marge.

 

Certes l’état des finances publiques semble alarmant et le théâtre est bien le symptôme de la difficulté à faire tenir debout l’ensemble du secteur public (santé, éducation, recherche). Sans entrer dans un débat sur une politique fiscale qui pourrait et devrait être plus juste (taxation des superprofits, revenus du capital, évasion fiscale, etc.) et au lieu de s’en prendre aux plus faibles (chômeurs), une solution me semble évidente à partir de l’enveloppe actuelle du ministère de la culture.

 

Car il est erroné de dire qu’il n’y a plus d’argent lorsque, d’après un rapport de la Cour des comptes, l’Etat devrait consacrer 327 millions d’euros au fonctionnement du Pass culture en vitesse de croisière et que, dès cette année, le seul ministère de la culture le finance à hauteur de 210 millions d’euros. Ce dispositif devient ainsi le deuxième opérateur du ministère, après la BNF.

« Un effet d’aubaine »

Ce Pass culture n’est en fait qu’une aide à la consommation. Et ce sont bien sûr les produits les plus en vue, les mieux marketés qui seront les plus consommés. Après avoir reproché durant des années aux théâtres que la fréquentation de leurs lieux était principalement assurée par un public d’enseignants et d’enseignés, on leur présente aujourd’hui le Pass comme la panacée.

La Cour des comptes elle-même a émis de sérieuses réserves quant à l’évaluation de cet outil. Le Sénat de son côté signale que ce Pass « risque de confirmer les habitudes culturelles et de s’avérer être un effet d’aubaine pour ceux qui ont déjà une pratique culturelle », et cette remarque est déjà vérifiée.

 

 

 
 
 

Certes sa mise en place a pu apparaître judicieuse, voire généreuse, mais en période de crise elle doit être réexaminée. Il n’y a pas de honte à reconnaître une erreur à moins qu’il ne soit pas possible de remettre en cause un projet voulu par l’Elysée qui en avait fait « un chantier culturel prioritaire ».

 

Mais si ces 210 millions sont réaffectés en direction de la création, on sortira de la crise annoncée. Les institutions seront confortées et pourront poursuivre leur mission absolument nécessaire, car leur disparition serait un signe de plus de la destruction de notre société. Et les compagnies, maillon porteur d’avenir – mais le plus fragile –, pourront voir s’éloigner cet horizon de désespérance. Il est encore temps

 

 

Jean-Louis Martinelli est l’ancien directeur du Théâtre national de Strasbourg (Bas-Rhin) et du Théâtre des Amandiers à Nanterre (Hauts-de-Seine).

 

Jean-Louis Martinelli (Metteur en scène)

 

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Comment Judith Godrèche est devenue icône du combat contre les violences sexuelles 

Comment Judith Godrèche est devenue icône du combat contre les violences sexuelles  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Editorial d'Alexandra Schwartzbrod dans Libération - 17 mai 2024

 

Il a suffi d’une vidéo postée sur X dans laquelle le réalisateur Benoît Jacquot s’exprime de façon abjecte sur sa relation avec l’actrice pour que celle-ci cesse de trembler et sorte de son silence.

 

 

C’est l’histoire d’une actrice, longtemps femme-enfant comme on le disait à la fin du XXe siècle, qui, au cours des premiers mois de 2024, s’est muée du jour au lendemain en guerrière contre ceux qui l’avaient utilisée et agressée, avant de devenir icône du combat contre les violences sexuelles. Que s’est-il passé pour que Judith Godrèche, qui avait quitté la France et les écrans depuis de nombreuses années, sorte soudain de son silence, aimantant journalistes, politiques et surtout ces milliers de femmes victimes comme elle d’hommes prédateurs ? La colère. L’indignation. Le trop, c’est trop. Il y a d’abord eu le succès de sa série, Icon of French Cinema, une autofiction pleine d’autodérision qui lui a sans doute redonné confiance en elle. Il a suffi ensuite d’une vidéo postée sur X dans laquelle le réalisateur Benoît Jacquot – avec qui elle a vécu dès l’âge de 15 ans – s’exprime sur cette relation de façon abjecte pour que Judith Godrèche cesse de trembler. Et l’ouvre. Conseillée par différentes femmes, agressées elles aussi dans le passé par des hommes assurés de leur impunité, parmi lesquelles Hélène Devynck, qui fédère les victimes de PPDA.

C’est ça que raconte notre enquête, ce long processus qui a conduit l’actrice à se révéler figure de proue du mouvement #MeToo dans le cinéma. Cette métamorphose ne s’est sans doute pas faite sans casse, elle a laissé des zones d’ombre que nous tentons d’éclaircir. Mais à tous ceux et peut-être aussi toutes celles qui murmurent leur ras-le-bol de ce déchaînement de haine contre des hommes vieillissants soudain cloués au pilori, il faut expliquer que les abus des hommes de pouvoir sur des jeunes filles ou des femmes sans défense – il ne se passe pas de semaine sans que de nouveaux exemples émergent – ont été tels, année après année et dans la plus parfaite indifférence si ce n’est approbation de la société, qu’il est normal que le balancier soit entraîné dans l’autre sens. Il faut que ça sorte. Un jour il reviendra à l’équilibre et l’on repensera avec émotion à ces femmes qui l’ont forcé à bouger.

 
Légende photo : Judith Godrèche à Paris, le 8 mai. (Marie Rouge/Libération)
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